Budapest: trois jeunes chefs en quête de reconnaissance

Budapest: trois jeunes chefs en quête de reconnaissance

Épreuve publique de diplôme au Conservatoire de Budapest : Mozart, Schubert, Beethoven

 

Voilà une sortie quelque peu inédite pour clore cette saison musicale : l'épreuve publique de fin d'études imposée à trois jeunes élèves du Conservatoire de Budapest (Académie Franz Liszt), section Direction d'orchestre. Deux bonnes raisons de nous y rendre : le programme, tout d'abord : Mozart, Schubert, Beethoven. Mais aussi l’occasion de découvrir éventuellement des jeunes talents, qui sait ? Les postulants : deux garçons et une fille : Levente Zsíros, Lars Dávid Sárosi, Bernadett Vida. Au programme : la 39ème symphonie K.543 de Mozart (Levente Zsíros), la 4ème, dite „Tragique”, de Schubert (Bernadett Vida) et la 4ème de Beethoven (Lars Dávid Sárosi). Pour les suivre : les musiciens de l'Orchestre symphonique MÁV.

Sans préjuger de la qualité de leur prestation, un petit coup de chapeau a priori à ces trois jeunes pour le courage de se présenter ainsi - qui plus est, en public - devant une phalange de cent musiciens professionnels rompus aux interprétations les plus difficiles, presque blasés. (Ce que nous n'arrivons à saisir : comment des musiciens rompus à des œuvres qu'ils connaissent par cœur et ont joué mille fois, peuvent-ils se laisser si docilement guider ? Ce qui ne doit pas être évident.) Une remarque également quant au choix des œuvres interprétées :  de structure classique, elles se situent à l’écart des hit-parades du répertoire, mais offrent tout en même temps des partitions suffisamment riches et contrastées. Un choix a priori idéal pour ce type d'épreuve (1).

Ceci étant dit, reconnaissons que, laïcs en la matière, il allait nous être bien difficile de juger par nous-mêmes, du moins sur le plan technique (soin que nous laissons aux membres du jury), sinon peut-être dans la précision des gestes, dans l'expressivité et dans les tempos choisis. Nous étions donc bien curieux de voir ce que cela allait donner (a fortiori dans des œuvres déjà mille fois entendues). Qu'en fut-il, donc ?

Un mot rapide, tout d'abord, sur les trois œuvres retenues

Composée au cours de l'été 1786, la 39ème de Mozart ouvre la série de ses trois dernières symphonies. Moins connue que ses deux prestigieuses cadettes (la sol mineur et Jupiter), elle n'en constitue pas moins une œuvre marquante. Par son caractère solennel, certains (A.Einstein) la rapprochent de sa musique maçonnique. Peut-être… Encore que, s'il fallait vraiment forcer les analogies, nous y verrions davantage, par son ambiance tendue („où couve un drame”, J.V. Hocquard), des réminiscences de Don Juan, composé quelques mois plus tôt.

Qualifiée de tragique par son auteur lui-même, la 4ème de Schubert – écrite dans la tonalité sombre d'ut mineur - marque un tournant dans l’œuvre du compositeur. Visiblement, ce dernier (alors âgé de 19 ans…) a voulu frapper un grand coup, stimulé, dit-on, par les grandes symphonies de son aîné Beethoven. De là à aller jusqu'à la comparer à l'Héroïque, comme s'y aventurent certains, voilà qui est pour le moins exagéré. Nous l'inscrivons plutôt dans la lignée du „Sturm und Drang”, mouvement alors très en vogue (2). Curieusement, son introduction solennelle rappelle quasiment note pour note celle de la Création de Haydn (description du chaos).

A l'opposé des deux œuvres précédentes, la 4ème de Beethoven séduit par sa luminosité, son climat serein, voire la joie qu'elle respire. Composée lors d'une période relativement heureuse (1806), elle contraste violemment avec ses deux Grandes voisines (G majuscule) que sont la 3ème et la 5ème (3). Voisines qui l'enserrent au point de l'étouffer.  Car, bien injustement, elle est probablement la moins jouée des neufs. Et pourtant !  Raison de plus pour nous réjouir de la voir programmée ce soir.

Un programme a priori séduisant, donc. Reste à voir ce que nos jeunes candidats auront su en tirer. C'est à Lars Dávid Sárosi (4) que revient sans conteste la palme. Nous ayant offert ce soir une merveilleuse interprétation de la 4ème (Beethoven), tant par les tempos retenus que par le phrasé et cette somptueuse sonorité qu'il a su imprimer à l'orchestre. Une Quatrième prenant ici les dimensions d'une grande symphonie. Direction à la fois souple et énergique dans une gestuelle tout en même temps précise et expressive. Nous y avons perçu la démarche d'un chef déjà accompli qui aura su communiquer son souffle aux musiciens. On reparlera du lui.

En regard, l'interprétation que nous a proposée son camarade Levente Zsíros dans la 39ème de Mozart nous a légèrement laissés sur notre faim. Une direction énergique et hautement précise, certes, mais presque trop. Au point de paraître par moments rigide. Mais c'est surtout dans son approche de l'œuvre que nous aurions à redire. S'attachant à en souligner le caractère par trop solennel, ralentissant par moments les tempos, ce qui eut pour effet d'alourdir quelque peu l'ensemble.

A l’opposé, la jeune Bernadett Vida, dans la 4ème de Schubert, nous a offert une fort belle interprétation, équilibrée, sans excès de pathos, rendue avec grâce et lyrisme, mais sans perdre pour autant de sa force. Ceci dans une gestuelle ample, sans à-coups, élégante, bref „féminine”. Significatif : nous avons ici retrouvé ces belles sonorités de l'orchestre qui nous avaient un peu manqué dans l'œuvre précédente.

Quoi qu'il en soit, concours ou non, cette soirée fut, au-delà de son motif premier, une belle occasion de réentendre des œuvres peu souvent jouées et ce, dans de belles interprétations. Du moins pour les deux „Quatrièmes”.

Un détail que nous allions oublier : le tout était dirigé sans partition ….

Pierre Waline

(1): peut-être trop „classique”, mais nous supposons que les postulants se seront aussi vus, au fil de leurs études, imposer des œuvres des répertoires baroque, romantique et moderne.

(2): «Sturm und Drang », littéralement « Tempête et élan »,  du titre d’une pièce : mouvement littéraire opposant au rationalisme du siècle des Lumières (« Aufklärung ») les exigences de la sensibilité (« Empfindlichkeit ’) 

et la mise en avant du génie populaire face à l’idéal classique.

(3): „Une jeune fille grecque entre deux géants nordiques” R. Schumann.


(4): d'origine honfógroise, né en Suède

 

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