Le nouveau film de Serge Bozon avec Isabelle Huppert en avant-première à Budapest

Le nouveau film de Serge Bozon avec Isabelle Huppert en avant-première à Budapest

Lors de la 8ème édition des Journées du Film Francophone en Hongrie, le nouveau long métrage de Serge Bozon, Madame Hyde a été projeté en avant-première. Ce film, inspiré du roman de Robert L. Stevenson, L’Étrange Cas du docteur Jekyll et M. Hyde, suit l’histoire de Mme Géquil, interprétée par l’actrice Isabelle Huppert. Professeure de physique dans un lycée professionnel de banlieue, elle n’est respectée ni par ses élèves ni par ses collègues. Mais brusquement tout change lorsqu’elle est foudroyée par un choc électrique dans son laboratoire. Sa personnalité se métamorphose et une énergie nouvelle et mystérieuse la possède désormais.

Réalisateur, comédien et critique de cinéma, Serge Bozon est venu à Budapest pour l’avant-première de son film Madame Hyde au cinéma Toldi lors de ce mois de la francophonie.  Nous l’avons rencontré à l’issue de la projection.

JFB : Votre nouveau long métrage, Madame Hyde est un film qui s’inscrit dans le genre fantastique, thème apprécié dans la littérature en France, d’ailleurs vous avez choisi le roman de l’écrivain britannique R. L. Stevenson : l’Étrange Cas du docteur Jekyll et M. Hyde comme inspiration. Quelle était l’idée principale de cette réalisation ?

S.B. : Il est vrai que le film est une adaptation de ce roman mais il reste au fond une adaptation très lointaine de celui-ci. Je souhaitais faire un film sur l’éducation mais pas forcément un film réaliste. L’héroïne, Mme Géquil, est une professeure en échec depuis très longtemps. Elle n’a jamais réussi au long de sa carrière à enseigner, à être respecté par ses élèves, ni par ses collègues ou son administration. Quand ça fait 35 ans que vous êtes en échec, si vous aviez pu changer ça aurait déjà eu lieu. C’est pour cela qu’il y a besoin de ce côté fantastique. Il lui permet, par le biais d’un accident, de transformer sa situation sans qu’elle s’en aperçoive. Sans le fantastique, Mme Géquil resterait ce qu’elle, en échec.

JFB : Pourquoi avoir choisi le roman l’Étrange Cas du docteur Jekyll et M. Hyde pour donner cette dimension fantastique dans le film ?

S.B. : Le roman de R. L. Stevenson repose entièrement sur l’idée de transformation. Le choix s’est donc porté naturellement vers celui-ci. Dans le roman c’est plus simple, il y a un côté Bien/Mal, représenté respectivement par le docteur Jekyll et par M. Hyde. L’idée est que le Mal est ce qui est refoulé dans le Bien, c’est pourquoi M. Hyde fait la nuit tout ce que rêve de faire le docteur Jekyll le jour sans oser le faire, comme par exemple la violence sexuelle ou le goût de la provocation et de l’agression physique. Ce n’est pas le cas dans mon film, Mme Hyde n’est pas un démon et il n’y a pas de dimension horrifique. La transformation est plus douce, plus progressive, c’est plus tard dans l’histoire qu’on se rend compte du côté dangereux de cette métamorphose. Le film suit une trame assez différente de Stevenson mais qui reste très classique dans la littérature : le personnage principal n’arrive pas à changer, quelque chose lui permet de le faire sans qu’il le veuille mais il le paye par la suite, car une transformation que l’on subit sans le vouloir, on ne sait pas jusqu’où elle peut nous mener. Dans le cas de Mme Géquil, ce qui va être bénéfique pour elle va finir par être maléfique ou même ce qui la sauve professionnellement va finir par la « tuer » intimement. J’ai donc préféré jouer cette logique là d’une transformation qui, peu à peu, bascule vers quelques choses de dangereux, plutôt que sur l’idée de voir directement l’apparition d’un monstre terrifiant et agressif.

JFB : Il est vrai que l’on peut même y voir une touche de féerie lorsque Isabelle Huppert apparait en pleine nuit illuminée.

S. B. : Tout à fait exacte ! Pour moi en effet, l’idée était plus féérique, plus comme un conte. Elle se rapproche plus d’une fée, d’une luciole. C’est plus une créature de lumière qu’un démon hideux. Simplement, Madame Géquil est une enseignante obscure car elle n’arrive pas à transmettre la lumière du savoir, et la seule manière pour qu'elle y arrive c’est en devenant elle-même lumière par accident. Mais la lumière c’est aussi dangereux et on risque de s’y brûler. Donc en effet, au départ, il avait l’idée d’intégrer plus une dimension féérique comme presque du Ravel ou du Debussy, une atmosphère plus française début de siècle, qu’un monstre terrifiant. On retrouve d’ailleurs cette emprunte féérique à travers la manière dont elle est habillée notamment, ou même sa chambre avec le miroir, qui donne une atmosphère romantique voire très féminine, très douce : c’est avant tout une femme et non un monstre.

JFB : Contrairement aux autres adaptions cinématographiques de ce roman, vous êtes l’un des seuls à avoir créé une version féminine de ce personnage. Pourquoi ce choix ?

S. B. : Le fait que ce soit une femme est très important pour moi. Premièrement, le rôle a été écrit pour Isabelle Huppert. Et puis, je vais donner un seul exemple : Mme Géquil, c’est une femme qui a un mari, qui est au foyer, mais si elle était un homme, le fait d’avoir une femme au foyer serait assez banal. Le fait que ce soit un homme, qui est au foyer, c’est tout de suite mystérieux car plus rare, en France notamment les hommes au foyer c’est très peu courant. Donc rien que ce détail rend le rapport du couple plus spécial. Le simple fait d’inverser homme/femme rend tout de suite la relation de couple plus mystérieuse et comique, car si c’était une femme qui cuisinait pour consoler son mari, cette scène serait perçue plus terne voire macho.

JFB : Contrairement au côté fantastique de ce personnage, l’intrigue se déroule dans un contexte très réel qui est celui d’un lycée professionnel de banlieue, zone où l’éducation est difficile, où les adolescents se cherchent et se construisent, mais également où l’on rencontre des élèves irrespectueux qui ne s’intéressent pas à l’éducation, tout du moins en façade ; on se rend compte plus tard que ce n’est pas réellement le cas. Vous nous disiez que l’idée première était de faire un film sur l’éducation, que cherchez vous à montrer en prenant ce lycée de banlieue comme décor principal ?

S.B. : L’idée était de parler un peu de la banlieue, car je ne sais pas ce qui en est en Hongrie, mais en France il y a beaucoup de banlieue, en tout cas près de Paris. C’est comme des ghettos, il y a principalement que des gens de couleurs et souvent il y est très difficile d’y enseigner comme d’y vivre, j’y ai vécu un mois pour le tournage et ce n’était pas facile. Je me suis dit pourquoi ne pas faire un film sur ses questions de bases : le ghetto, le racisme ; mais sans pour autant y mettre une notion de pitié envers eux, mais au contraire voire plutôt ce que l’on pourrait raconter dessus en termes de fiction, des histoires étonnantes, et pas seulement un constat. Dans le film, on a au début Malik, un élève qui est mauvais à l’école mais aussi insolent, qui devient finalement passionné par la science. La transmission a bien eu lieu, même s’il le paye assez cher vu qu’à la fin, porteur déjà d’un handicap depuis la naissance, il finit en plus brûlé et il se retrouve dans une classe qui ne semble pas intéressée par ce qu’il dit, il est alors isolé. Pour autant, maintenant il a la passion du savoir et de la science donc c’est bien la preuve que quelque chose s’est produite. C’est ce qui m’intéressait d’avoir un tel parcours de partir du plus mauvais au plus passionné. Mais ce n’est pas un film style « good movie » où l’on pourrait croire que tout est possible. C’est plus compliqué, c’est plus douloureux mais quelque chose a eu lieu.

JFB : Est-ce que cela était un moyen de dénoncer les problèmes d’éducations qu’il y a en France, notamment la différence entre les lycées professionnels et les lycées généraux ?

S. B. : Oui, c’était en quelque sorte un moyen de traiter de cela, de manière toute simple. Par exemple dans le film, ce qui est vrai en France, les classes générales ont le droit de faire des TPE (Travaux Pédagogiques Encadrés) mais les classes techniques n’ont pas le droit. Le principal du lycée du film, un peu bizarre et idiot mais gentil, pense que cette loi, qui fait qu’une classe technique ne puisse pas faire de TPE, serait liée à des phénomènes biologiques, à savoir que les élèves des classes techniques auraient moins de neurones que les élèves des classes généraux, ce qui est absurde évidemment. D’ailleurs, on voit dans l’une des scènes du film ce qu’est un TPE fait par une classe générale, et c’est très faible. Le sujet est sur la prostitution et la nouvelle législation, et les deux jeunes élèves font quelque chose d’assez nulle. D’ailleurs, je n’ai pas inventé cette scène, c’est un vrai TPE qui m’a été confié par un professeur, qui avait trouvé cela tellement nul qu’il m’a dit que ça en était comique. Elles n’avaient rien préparé ni apporté à part une photo de Bucarest et un kebab alors que les TPE sont faits pour apprendre à rechercher des informations sur un sujet donné par des outils de documentations. Donc cet exemple montre comment je prends des évènements qui viennent de la réalité, pas pour faire un constat, mais plus pour arriver à trouver des choses qui soient à la fois comique, étrange, parfois inquiétante, parfois douloureuse mais en aucun pour donner un sentiment de pitié envers eux.

JFB : Vous avez fait appel une nouvelle fois à Isabelle Huppert comme actrice principale de votre film, comme ce fut déjà le cas avec votre ancienne réalisation Tip Top présenté au festival de Cannes. Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix de ce rôle ?

S. B. : Le scénario de ce long métrage était écrit pour elle comme celui de Tip Top, si elle avait refusé le film n’aurait pas été réalisé. En France, Isabelle Huppert est célèbre pour ses rôles de femmes fortes, forte entre autres par l’autorité, qui peut aller jusqu’à une certaine violence, qui elle-même peut aller jusqu’à un certain sadisme. Je me suis dit qu’il serait intéressant de travailler avec elle sur quelque chose qu’elle ne travaille jamais, c’est-à-dire un personnage loin d’être fort. Mme Géquil est faible et craintive au départ, tout le contraire d’un personnage fort. Ensuite, le but était de savoir comment elle pourrait se transformer sans que cela devienne quelque chose de spectaculaire et basique : la fille faible devient super forte, la fille timide devient provocante. Sa transformation est liée à son métier, elle se transforme car progressivement elle va enfin arriver à faire cours. Donc c’était intéressant de faire travailler Isabelle Huppert sur ce personnage opposé à ses rôles interprétés habituellement, puis de la faire transformer en une personne pas forte comme elle peut le jouer généralement mais plutôt une métamorphose au service du film qui permet de montrer la difficulté et l’importance d’enseigner, et expliquer comment cela peut représenter tout un itinéraire avec beaucoup d’évolutions. On part d’un spectre d’information qui est petit, et parce qu’il est petit, il manifeste plus fortement cette difficulté d’enseigner et montre comment cela ne va pas forcément de soi, et qu’il y a toute une transformation interne pour y parvenir. De mon point de vue, Isabelle Huppert est actuellement la plus grande actrice actuelle. Si généralement les actrices de son âge sont mises de côté, j’ai l’impression que pour elle c’est l’inverse, sa carrière est de plus en plus riche. Très cultivée, elle a une grande curiosité, elle va voir la majorité des présentations qui passe au théâtre, à l’opéra et au cinéma, même après une journée de tournage. Elle a vraiment une passion. Elle ne se contente pas de regarder simplement le scénario, elle regarde aussi et surtout le réalisateur. En quelque sorte, elle fait un « casting de réalisateur ». Je trouve qu’elle apporte beaucoup et j’aimerai à l’avenir travailler sur de nouveaux projets avec elle.

JFB : Dans l’avenir, vous nous dites que vous souhaiteriez travailler de nouveau avec elle, avez-vous des projets ou simplement des idées de réalisations que vous souhaiteriez réaliser ?

S. B. : Dans le cinéma souvent ce n’est pas les projets qui manquent mais plutôt l’argent donc parfois certains projets ne se réalisent pas malheureusement, mais disons que pour l’instant j’aimerais bien travailler un jour autour de la question du personnage de Don Juan, l’idée du séducteur extrême.

Propos recueillis par Éva Vámos et Eva Boutin

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