Concert en sol majeur à l'Académie de Musique de Budapest ... une soirée revigorante

Concert en sol majeur à l'Académie de Musique de Budapest ... une soirée revigorante

L’idée de réunir dans un même concert des œuvres de même tonalité n’est pas nouvelle. Telle cette soirée à laquelle il m’avait été donné d’assister voici quelques années sur le thème „Mozart en ré mineur”. Une tonalité sombre comme l’illustre son Requiem qui était entre autres inscrit au programme.(1).  Cette fois-ci, c’est la tonalité du sol majeur qui était retenue lors d’un concert donné à l’Académie de Musique de Budapest par les membres de l’orchestre de chambre Franz Liszt, accompagnés de Péter Frankl au piano. Au programme, rien moins que les trois géants de l’école classique viennoise: Haydn (88ème symphonie), Mozart (17ème concerto) et Beethoven (4ème concerto). A l’opposé du ré mineur, le sol majeur est une tonalité claire, rafraîchissante, particulièrement bienvenue pour vous rasséréner en ces froides et sombres journées d’hiver...

 

 

Suivant la série des symphonies parisiennes et composée quelques années avant la grande série des symphonies londoniennes (93-!04), la 88ème symphonie en sol de Haydn est probablement l’une des plus jouées du compositeur. Objet d’éloges parfois même excessifs: „un des sommets du répertoire d’orchestre” selon Marc Vignal. Quant à Brahms, il disait de son beau largo: ”Je voudrais que celui de ma Neuvième soit ainsi”, ce qui, de sa part, n’est pas un mince éloge (bien que.. de „neuvième”, il n’y en eut point). Une œuvre extrêmement concentrée par le monothématisme de chacun de ses mouvements. „Énonçant un maximum de choses en un minimum de temps” (Marc Vignal). 

 

 

Beaucoup de mélomanes ont tendance à considérer que les „grands” concertos de Mozart débutent avec le 20ème (qui figurait précisément au programme du „concerto en ré mineur”). Pour ma part, j’en ajouterais peut-être deux autres à cette série: le 9ème, dit „Jeune homme” et surtout ce 17ème concerto qui nous était joué ce soir. Le seul de ses concertos écrits dans cette tonalité, le 17ème (K453) fut composé dans une période relativement heureuse du compositeur (printemps 1784) qui précéda la „crise romantique” de 1785. Probablement l’un des plus variés et des plus contrastés de la série, „l’un des plus beaux écrits par Mozart” selon Olivier Messiaen. „Entre  larmes et sourires” (J.V. Hocquart). Contrastant avec son andante au ton quelque peu mélancolique et réservé, le vif allegretto („allègre” au sens propre) qui conclut l’œuvre ne peut m’empêcher de penser, par son caractère alerte et joyeux, à Papageno, bien que la Flûte ne fût écrite que sept ans plus tard.      

 

 

Si, avec son 2ème concerto, le concerto en sol op 58 de Beethoven figure auprès des mélomanes légèrement en retrait par rapport aux autres (2), il faut croire que Beethoven y tenait beaucoup. En effet, lorsque son ami pianiste Ries qui devait le créer s’y refusa, ne disposant que de cinq jours pour l’étudier, et demanda à se rabattre sur le 3ème, cela mit le compositeur dans une grande colère (3). A juste titre, car, avec ce nouveau  concerto, Beethoven innovait, notamment en faisant intervenir le piano dès l’entrée. Et aussi avec ce passage sans coupure entre les 2ème et 3ème mouvements, ce que nous retrouverons par la suite avec l’Empereur (le 5ème). Pour ma part, j’en retiendrai surtout ce merveilleux mouvement lent, andante con moto, d’une tendresse, d’une profondeur particulièrement émouvantes, probablement parmi les plus beaux que nous a laissés le maître de Bonn. Qui contraste merveilleusement avec le rondo vivace qui suit, comme pour interrompre une confidence par trop intime.  

 

 

Voilà pour les œuvres inscrites au programme de cette soirée. Quant à l’interprétation, qu’en dire? Un mot, tout d’abord, sur l’orchestre de Chambre Franz Liszt (Liszt Ferenc Kamarazenekar). Fondé en 1963 par des jeunes diplômés de l’Académie de musique, il s’agit là d’une formation bien conue des mélomanes, entre autres par les nombreux enregistrements qu’elle nous a laissés. Une formation qui, au fil de ses cinquante années d’existence, s’est produite dans plus de cinquante pays, entre autres au Carnegie Hall, au Concertgebouw, ou encore au Muzikverein de Vienne et, plus près de nous, au Théâtre de la Ville. Quant au pianiste Péter Frankl (4), ses références ne sont pas non plus des moindres. Ayant débuté en 1962 à Londres, il se produisit quelques années plus tard à New York sous la direction de George Széll, avant de se voir invité par de nombreuses formations prestigieuses, telle la Philharmonie de Berlin ou encore l’Orchestre de Paris. Ajoutons à cela qu’il fut l’élève favori d’Artur Schnabel.

 

 

Avec une telle carte de visite, nous ne pouvions nous attendre qu’à une belle soirée. Le moins que l’on puisse dire est que nous ne fûmes pas déçus, bien au contraire. Tout d’abord par le choix d’une formation de chambre qui convient particulièrement aux œuvres retenues. Même dans le 4ème de Beethoven dont le premier mouvement pourrait prêter à certaines lourdeurs ou du moins à une certaine emphase, ce qui ne fut point le cas ici. Une formation réduite dont l’avantage était de nous laisser mieux discerner les différents pupitres, tels les hautbois, clarinettes ou flûtes, non pas noyés dans la masse. Ce qui vaut plus particulièrement pour la symphonie de Haydn. Joseph Haydn qui ne disposait lui-même que d’un effectif réduit à la cour des princes Esterházy. 

 

 

Lors d’une récente interview, Péter Frankl avouait sa prédilection pour Mozart, dont, malgré ses 81 ans, il prend toujours un grand plaisir à interpréter les concertos. Ce qui est paru évident à nos oreilles. Nous offrant un jeu vif et clair, détachant bien les notes (5). Un jeu qui sied particulièrement à ce 17ème de Mozart, notamment dans son dernier mouvement allegretto. Péter Frankl et les membres de l’Orchestre Liszt: plus que des partenaires, des amis habitués à jouer ensemble. Une parfaite harmonie, ... pour notre plaisir.

 

 

Pour ce qui est du jeu du pianiste, j’en retiendrai avant tout une grande clarté et une grande brillance. Une qualité particulièrement appréciée dans le 4ème concerto de Beethoven, limpide, ici libéré de cette épaisseur que l’on aurait parfois tendance lui à imprimer. Et aussi une parfaite maîtrise. Quoi d’étonnant pour un homme disposant derrière lui de près de soixante ans de carrière, au cours desquels il aura côtoyé les plus grands chefs (6). Clarté et transparence, des qualités que l’on pourrait aussi appliquer à l’orchestre. Une ensemble d’autant plus soudé qu’il se produit sans chef.

 

 

En bis, le pianiste nous offrit le second mouvement presto de la  54ème sonate de Haydn - bien évidemment en sol majeur! - joué dans sur un tempo vif et enlevé. (Puisque nous parlons de soliste, qu’il nous soit un instant permis d’évoquer la 1ère clarinettiste pour son solo qui accompagne de bout en bout le beau largo de Haydn, tant admiré par Brahms).

 

 

Un concert dont je garderai personnellement une impression de fraîcheur, souffle printanier, bienvenus pour vous ragaillardir en cette soirée d’hiver... Sentiment probablement partagé par le public, à en juger par les applaudissements nourris et les nombreux rappels.

 

 

Décidément, la vie musicale à Budapest n’en a pas fini de nous réserver des agréables surprises et nous laisse encore entrevoir de bien belles soirées en perspective...

 

 

Pierre Waline

 

 

(1): le 5 novembre 2012 au Théâtre national (Nemzeti Színház).

 

 

(2): comme pour ses symphonies, ce sont curieusement les numéros impairs qui priment sur les numéros pairs. Mais il faut bien sûr n’y voir qu’un pur hasard.

 

 

(3): c’est finalement Beethoven qui devait en assumer lui-même la partie du piano lors de sa création deux années plus tard (1808). Une partie de piano particulièrement difficile alternant „gammes, doubles trilles, sauts” (Czerny).

 

 

(4): né en Hongrie, mais de nationalité britannique.

 

 

(5): les témoins de l’époque l’ayant entendu au clavier concordent à souligner le style staccato de Mozart qui détachait ses notes, au contraire d’un Beethoven qui avait tendance à les lier (style legato), faisant un usage quasi constant de la pédale.  

 

 

(6): Abbado, Blomstedt, Boulez, Chailly, Davis, Doráti, Fischer, Haitink, Kempe, Kertész, Leinsdorf, Maazel, Mazur, Muti, Sanderling, Solti, Széll.

 

 

 

 

 

 

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