La Création selon Haydn à l’Académie de Musique

La Création selon Haydn à l’Académie de Musique

Ce n’est pas la première fois que nous sont servis des oratorios de Haydn, dont nous avons déjà rendu compte à plusieurs reprises(1). Jusqu’ici jamais déçus, au contraire séduits. Même enthousiasme cette fois-ci encore. Mais, à la différence des précédents concerts, l’œuvre nous fut ici servie avec un orchestre et surtout un chœur relativement réduits.

Choisie pour incarner Ève et Gabriel dans la Création de Haydn, Emőke Baráth était accompagnée ce soir-là(2) par le baryton-basse Miklós Sebestyén (Raphael, Adam) et le ténor Zoltán Megyesi. Le tout emmené par l’orchestre Concerto Budapest sous la baguette de son fondateur András Keller, et le Nouveau Chœur de chambre Franz Liszt (Új Liszt Ferenc kamarakórus).

 

Alors que nous avions été par le passé habitués à des versions de référence plus étoffées (cf. Karajan avec son merveilleux enregistrement de 1969), force est d’avouer qu’en définitive, l’œuvre gagne à être allégée : moins de solennité, certes, mais plus de charme. Un orchestre jouant sur des instruments d’époque, mais sonnant de façon parfaitement claire et agréable, avec une touche de fraîcheur bienvenue, surtout pour une œuvre consacrée à la Nature. Une mention spéciale revient au pupitre des bois, particulièrement sollicités dans la partition et aussi aux percussions, maniées de mains de maître par la jeune Boglárka Fábry. (Haydn avait lui-même été formé aux percussions, ce qui se sent nettement dans ses compositions(3). Le tout dirigé par András Keller précis et rigoureux.

La jeune soprano Emőke Baráth est on ne peut plus charmante et sympathique, certes, mais en plus et surtout et elle chante de façon admirable. Pour celles et ceux qui fréquentent régulièrement les salles de concert de Budapest, son nom n’est pas inconnu. Ni même en Europe où elle est régulièrement invitée à se produire(4).

Le baryton-basse Miklós Sebestyén mérite aussi tous les éloges. On le dit apprécié sur les scènes étrangères, avec même deux interventions au MET de New-York. Je le crois volontiers : voix chaude, veloutée, particulièrement agréable à l’oreille, toute en nuances. Le sommet : ce merveilleux duo avec chœur de la dernière partie entre Adam et Ève („Von Deiner Güt’, o Herr und Gott”). Ici admirablement servi par une soprano et son partenaire particulièrement inspirés, à tomber presque à genou devant tant de charme. Et pourtant, les références de qualité ne manquent pas (telle cette interprétation légendaire par D. Fischer-Dieskau et G. Janowitz).

Mais, au-delà de l’orchestre, du chœur et des solistes, il est un nom que nous serions bien coupables de ne pas mentionner, le principal acteur de la soirée : Joseph Haydn. Trop souvent et bien injustement mis en retrait par rapport aux deux autres grands Viennois de l’époque, Mozart et Beethoven. Et pourtant l’un des plus grands, lui aussi. Surtout avec ce chef d’œuvre que constitue la Création, qui, en exagérant à peine, serait presque à classer au côté de ces chefs d’œuvre absolus que sont Don Juan, la Neuvième, la Passion selon St Matthieu et la Messe en Si.

Une légère réserve : comme pour les Saisons, le texte, dû à son ami et frère de Loge, le baron van Swieten (d’après Le paradis perdu – Paradise lost – de John Milton) nous paraîtra aujourd’hui quelque peu désuet et suranné. Mais c’était le style de l’époque (assez éloigné de la Bible).

S’il est un cadre qui se prête à voir rejouer ses œuvres, c’est bien celui de la Hongrie, pays où, employé auprès des princes Esterházy, Haydn passa la majeure partie de sa vie. Pays et peuple qu’il affectionnait particulièrement. Haydn que l’on retrouve donc fréquemment au programme des concerts de la capitale.

Après ses créations viennoises en 1798-1799 (dont les fameux concerts donnés au palais Schwarzenberg et au Burgtheater), c’est Buda qui a eu l’honneur d’accueillir la première l’œuvre en dehors de Vienne, le 8 mars 1808(5).

Pierre Waline

(1) CR du 2 janvier 2015 pour la Création (avec le même Miklós Sebestyén), du 13 mai 2015 pour les Saisons, avec Emőke Baráth ou du 21 mai 2015 pour Les Sept dernières paroles du Christ en croix.

(2) Le 30 avril dans la salle de l’Académie de Musique (Zeneakadémia)

(3) 

Au point qu’il tint la partie de timbales lors de la représentation d’une de ses symphonies à Londres, non sans susciter l’admiration du public et des musiciens épatés.

(4) On notera entre autres, son apparition sur les scènes suivantes : Festival d’Aix-en-Provence, Theater an der Wien, opéras de Montpellier, Versailles et Nancy, salle Pleyel, Théâtre des Champs Elysées, Festivals de la Chaise Dieu et de Verbier, également accompagnée par les Talents lyriques ou encore les Musiciens du Louvre.  A noter son apparition en juillet prochain au Festival de Verbier (concert Mozart).

(5) La France suivit avec un premier concert donné en novembre 1808 à Lille, puis en décembre de la même année à Paris en présence de Bonaparte (C’est précisément en s’y rendant que le Premier Consul fut visé par l’attentat de la rue de St. Nicaise).

 

 

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