Concert du Nouvel An à Budapest

Concert du Nouvel An à Budapest

 

la Création de Haydn ♫

Pour célébrer en musique cette nouvelle année, le chef hongrois Ádám Fischer a choisi de nous offrir un programme qui sort des sentiers battus. Loin de nos marches de Radetzky, valses, polkas et autres galops effrénés, c’est une musique d’un tout autre genre qu’il nous propose. Rien moins que La Création de Joseph Haydn (*).

Certes, il est bien agréable de suivre, à peine remis de nos agapes de la nuit, le concert retransmis le matin depuis la Philharomie de Vienne, mais l’un n’empêche pas l’autre: Strauss le matin, Haydn le soir.

 

Le symbole (voulu ou non) est fort: la Création débute par un long largo qui se fait progressivement pianissimo pour déboucher sur un éclatant forte marquant le chaos, puis l’apparition de la Lumière („Und Gott sprach:Es werde Licht!”), des triolets ascendants venant annoncer le début de la vie. Introduction que Beethoven avait tant admirée. Bref, un beau symbole pour fêter la nouvelle année que ce passage du chaos à la vie.... Et quelle vie !

Après les ténèbres et la lumière viennent l’eau, la pluie, la neige, les rivières, les astres, la lune, les plantes, les forêts, les insectes, les oiseaux et autres animaux de toutes sortes, le tout dépeint dans une magistrale débauche de couleurs et d’harmonies dont seul Haydn avait le secret. Puis, pour couronner le tout, Dieu créa l’Homme, et enfin - pour notre plus grand bonheur - la Femme. Et pas n’importe quelle femme ! Eve étant ici interprétée par la belle soprane allemande Annette Dasch à la voix accomplie (quoique manquant peut-être un peu de cette fragilité que nous imaginerions chez Eve) (**). En tous les cas, elle semble avoir fait la joie de son partenaire, le baryton autrichien Daniel Schmutzhard, visiblement sous le charme. Tous deux nous offrant, sur la fin de l’oeuvre, un moment de pur délice avec cette apparition d’Adam et Eve, encore tout émerveillés et ingénus devant la nature qu’ils découvrent (duo avec choeur), puis ce divin, ce si beau, si tendre, si sensuel, si ravissant, si touchant duo d’amour („Holde Gattin... Teurer Gatte..” „Tendre épouse... Cher époux...”).

Les deux autres rôles étaient tout aussi brillamment assurés par le ténor allemand Eric Stoklossa (Uriel) et surtout la basse hongroise Miklós Sebestyén (Raphaёl) à la voix chaude, qui mérite une mention spéciale.

Pour couronner le tout, un orchestre „austro-hongrois” (Osztrák-magyar Haydn zenekar) tout aussi inspiré sous la baguette vive et précise de son chef et fondateur Ádám Fischer (le frère d’Iván), qui n’est plus à présenter ici. Personnage à part entière, qui tient en fait le premier rôle, l’orchestre aura particulièrement brillé ce soir là par sa fraîcheur et sa clarté, notamment dans les rangs des bois et des cuivres (***). Enfin, n’oublions pas le choeur Purcell dont les interventions tout au long de l’oeuvre furent impeccables. Là aussi, il s’agit d’une formation (hongroise) bien connue du public, qui se produit régulièrement dans cette belle salle du Palais des Arts. Une salle - petite cerise sur notre .. bûche.. - fleurie pour la circontance.

Bref, qui eût espéré mieux pour entamer en beauté cette année 2015 ?

Haydn et son librettiste Gottfried van Swieten nous quittent en plein bonheur et ne nous content pas la suite du feuilleton (****). Ils ont bien raison, car, elle ne sera pas particulièrement brillante, la suite, avec cette fameuse histoire de fruit défendu, de serpent, de Caïn et tutti quanti... Espérons que ce premier janvier nous épargnera pour 2015 ce type de déconvenues....

Mais après tout, en cette période de l’année, il n’est pas interdit de croire au père Noёl 

BONNE ANNÉE ...

... donc à toutes et tous, bien évidemment en musique ♫ comme il se doit, à consommer ... sans modération !

Pierre Waline

♫ ♪ ♫ ♪

Créée 10 ans plus tôt, la Création connut en 1808 une représentation mémorable, ici illustrée par Balthasar Wigand. Représentation au cours de laquelle le jeune Beethoven s’inclina devant son aîné pour lui rendre publiquement hommage. Un concert dirigé par....Antonio Salieri ! En présence d’un Joseph Haydn déjà bien affaibli qu’il fallut conduire dans le hall en chaise à porteur.

(*): habitude en passe devenir une tradition, la même oeuvre ayant déjà été donnée à deux reprises au Nouvel An à Budapest par Helmut Rilling et René Jacobs.

(**): à écouter, car inégalés dans ce duo: Gundula Janowitz et Dietrich.Fischer-Dieskau sous la direction de Karajan.

(***): détail surprenant: alors que l’oeuvre se termine généralement en apothéose sur un accord - „Amen” - forte, Fischer a ici choisi au contraire de conclure l’oeuvre sur un accord piano. Symbole d’humilité ? Pour juger, il faudrait voir la partition.

(****): d’après le ”Paradise lost” de John Milton.

 
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