Match déséquilibré pour la grande distribution

Match déséquilibré pour la grande distribution

Rencontre avec Vincent Roussel

 

Le secteur de la grande distribution est confronté aujourd'hui en Hongrie à un contexte économique tendu, auquel s'ajoutent des mesures successives introduites par le gouvernement depuis un an et dont l'impact se fait lourdement ressentir. Vincent Roussel, Président-Directeur Général de Match et Président de la section Hongrie des CCEF (Conseillers du commerce extérieur de la France) depuis 2010 a accepté de répondre aux questions du JFB .

 

 

JFB : Pouvez-vous nous présenter Match ?

Vincent Roussel : Les supermarchés Match appartiennent au groupe privé franco-belge Louis Delhaize qui regroupe d'autres enseignes comme Cora (hypermarchés), Truffaut (jardineries), Houra (site de commerce en ligne) ou Profi (supermarchés discount). Le groupe dans son intégralité réalise un chiffre d'affaires annuel de 10 milliards d'euros avec environ 55 000 collaborateurs. Il est présent en Hongrie depuis 1989. On retrouve aujourd'hui 3 de ses enseignes sur l'ensemble du pays : Match, Cora et Profi. Le chiffre d'affaire du groupe Delhaize en Hongrie est de 600 millions d'euros avec environ 5000 collaborateurs. Match Hongrie est né du rachat d'une société Autrichienne en 2000. Les 121 supermarchés Match sont dispersés sur tout le territoire magyar.



JFB : Quelle est la spécificité de Match ?

V.R. : L'enseigne Match a fait le choix de la proximité et d’être un acteur local actif. Elle offre des supermarchés à taille humaine, où l’on peut faire rapidement ses courses. C'est donc un supermarché de proximité qualitatif avec une différenciation sur les produits frais.



JFB : Comment qualifieriez-vous la consommation en Hongrie ?

V.R. : C'est une consommation basique qui n'est pas forcément tournée vers les produits élaborés et d'innovation, même si les habitudes culinaires évoluent. Cela prend du temps...

 

JFB : Le groupe est-il affecté aujourd'hui par la crise économique ?

V.R. : Oui. Il a subi une récession à partir de 2008. Depuis, la situation économique du pays ne s'est pas redressée et la baisse constante du pouvoir d'achat des ménages a un fort impact sur la consommation. La concurrence se développe également avec l'arrivée des enseignes allemandes Lidl et Aldi sur le marché du discount hongrois. En plus des trois groupes locaux spécialisés dans la grande distribution (CBA, COOP et REAL), on compte un groupe anglais, Tesco, un groupe français, Auchan, un groupe autrichien, Spar et deux groupes Allemands (Rewe et Métro). Enfin, le contexte législatif ne contribue pas à créer une dynamique dans ce secteur d'activité.

 

JFB : Justement, le gouvernement Fidesz a introduit plusieurs mesures qui touchent directement la grande distribution : taxe de crise, taxe sur les chips, augmentation des droits d’accise ? Quel impact ont aujourd'hui ces mesures ?

V.R. : La grande distribution est assaillie depuis un an par de nouvelles lois qui lui coûtent cher. Tout d'abord et principalement la taxe de crise votée en octobre 2010, violente dans sa décision et sa mise en place : son introduction n'a été précédée d'aucune concertation préalable et elle a été appliqué avec un effet rétroactif à janvier 2010. Elle est due jusqu’en 2012. Une des injustices majeures de cette taxe est qu’elle met pas toutes les enseignes sur un pied d'égalité. En effet, 4 paliers de chiffre d'affaires sont définis et conditionnent le montant à payer par chaque enseigne. Or, il s'avère que les chaînes de distribution locales échappent peu ou prou à cette réglementation en raison de leur construction juridique : elles sont franchisées et donc le chiffre d'affaires qui est pris en compte est celui de chaque société franchisée. Pour les groupes étrangers, il en est autrement puisque la taxe se base sur le chiffre d'affaire du groupe. Une disposition du texte de loi a même pris en compte la situation particulière du groupe Delhaize et prévoit le cumul du chiffre d'affaire de ses trois enseignes pour le paiement de la taxe. Cette taxe figure dans les bilans de chaque entité et remet en cause dès lors leur stratégie d'investissement.

 

JFB : Quelles sont les réactions de la grande distribution ?

V.R.: Un recours collectif (plusieurs enseignes commerciales) a été engagé auprès de la Cour de Justice de l'Union Européenne à Bruxelles, basé sur deux motifs : la distorsion commerciale et la rétroactivité de la mesure. Nous attendons l'aboutissement de ce recours.

 

JFB : Pensez-vous que les mesures prises par le gouvernement en faveur des familles endettées en devise pourront relancer la consommation ?

V.R. : Cela fait 6 mois que la flat tax à 16% est appliquée. Cette mesure aurait dû relancer la consommation car une partie des ménages ont ainsi gagné en pouvoir d'achat. Cependant, nous ne constatons depuis aucun signe de relance de la consommation. Les dernières mesures prises par le gouvernement en faveur des familles endettées en devise ne seront bénéfiques qu'à une frange de la population, infime, car il faut que les ménages endettés puissent avoir l'argent disponible pour rembourser leur prêt ou suffisamment de garanties pour convertir leur prêt en forint ! Cette mesure représente certainement une opportunité pour les hongrois victimes de l'endettement mais n'a pas d'impact sur la consommation et donc sur notre activité.

 

JFB : Une hausse de la TVA de 25 à 27 % est également annoncée par le gouvernement à compter du 1er janvier 2012 ? Encore une fois, quelles seront les conséquences sur le secteur commercial ?

V.R. : La hausse de la TVA, comme l'augmentation des droits d'accises et l'introduction de la taxe chips, a un effet direct sur les prix de vente. Force est de constater aujourd'hui que la grande distribution est mise sous pression par cette succession de mesures et que ceux qui reversent déjà le plus à l'Etat vont continuer de reverser, toujours plus ! Il ne faut pas oublier non plus que cette augmentation des prix se répercute sur le consommateur.



JFB : La réforme des chèques repas vous touche-t-elle ?

V.R. : Oui, puisque les missions des titres repas seront peut-être étatisées. Aujourd'hui, ce sont trois sociétés françaises qui occupent principalement ce domaine d'activité. Entre 4% et 10% de nos ventes se font via les chèques repas. L'introduction d'une carte magnétique à la place des carnets actuels nécessitera la mise en place de terminaux dans chaque supermarché. Or, nous ne savons pas aujourd'hui quels seront les critères définis pour en obtenir. Tout cela reste encore une fois très subjectif.

 

JFB : Comment voyez-vous l'avenir pour le secteur de la grande distribution et pour l'économie hongroise ?

V.R. : La relance économique nécessite 3 facteurs : la consommation intérieure, les investissements étrangers et les exportations. Aujourd'hui, un seul de ces trois voyants fonctionne, le dernier. L'Etat a amélioré sa dette en 2010 en ponctionnant les entreprises du secteur bancaire, de la grande distribution, des télécoms, en captant les fonds de pension du second pilier également, mais maintenant il va devoir s'attaquer aux réformes structurelles qui risquent de perturber encore plus le contexte économique hongrois. Pour l’instant, il est difficile de distinguer une lueur d’espoir.

 

Gwenaëlle Thomas

 

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