Le bœuf d’or de Huaxi

Le bœuf d’or de Huaxi

La chronique de Dénes Baracs

 

Le bœuf en question brille de tout son or au 60ème étage d’un gratte-ciel dans la province de Jiangsu, région parmi les plus fertiles de la Chine de l’Est, elle-même moteur du développement économique du pays le plus peuplé au monde et devenu atelier du globe tout entier.

 

 

La tour de 328 mètres (4 mètres de plus que la Tour Eiffel) récemment inaugurée se trouve dans le petit village de Huaxi, une localité jadis modeste de 320 familles, soit moins de 2000 personnes au total. Malgré les quelques 50 000 habitants qui y vivent, le village est toujours répertorié comme tel, avec l’addition d’adjectifs importants, notamment celui de village socialiste modèle.

Ces mots me semblent familiers: jeune correspondant, j’ai passé plus de quatre ans au début des années 70’ dans la Chine de Mao, celles des luttes intestines et des turbulences politiques connues sous le nom général de „révolution culturelle”, ou plus exactement de Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, censée créer le nouvel homme socialiste, les nouveaux opéras modèles socialistes, les nouveaux villages socialistes. Une société égalitaire qui surgira de la lutte des classes sans fin mais nécessairement victorieuse, de laquelle l’idée de l’exploitation de l’homme par l’homme ou celle du profit sera bannie pour toujours.

La révolution culturelle lancée par Mao a disparu avec la mort du „Grand Timonier” et Deng Xiaoping, le dirigeant suivant qui a pris les reines du pouvoir, a lancé un mot d’ordre qui peut sembler naturel pour nos oreilles européennes mais qui fut une vraie libération pour les Chinois: Enrichissez-vous! Et tous les moyens étaient bons pour atteindre ce but. On connait le bon mot de Deng: peu importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu’il attrape la souris. Et on connait la transformation quasi miraculeuse de ce pays jadis si pauvre en PIB mais si riche en habitants et en talents jusqu’à nos jours quand il devint le partenaire et le créancier le plus important des États-Unis. Cette Chine est également courtisée (en dépit de ses faiblesses et lacunes) par l’Europe toute entière, y compris la France cocorico et la Hongrie défiante.

En retournant de temps en temps sur cette terre qui a conservé le système du parti unique tout-puissant sachant combiner la modernisation technique avec le mode opératoire de l’économie capitaliste, je devins chaque fois un témoin étonné des changements incroyablement rapides et spectaculaires. Ils furent toujours présentés par le biais de personnes et de collectivités „modèles” – et bien entendu, qualifiées de socialistes. Dans les années 70’ les modèles étaient des hommes et des femmes héroïques qui avaient travaillé inlassablement pour la victoire de la ligne du parti et pour le progrès de la patrie. Dans les années 2000, on nous a présentés des gens autrefois pauvres qui, avec le virage économique de Deng, ont investi leur modeste épargne dans les entreprises novatrices, ont continué à travailler durement et sont devenus opulents.

Je fus étonné lorsqu’on nous conduisit dans un centre moderne de cinéma dans la province de Zhejiang (proche de Jiangsu) – une espèce de nouveau Hollywood chinois. Des studios dernier cri et des sites historiques chinois pour le besoin des tournages. Et nous avons découvert là, la Cité interdite de Pékin, avec la porte Tienanmen, symbole de la Chine – reconstruite dans ce milieu rural de cinéma, en grandeur nature! Le tout dernier, né de l’initiative d’un paysan local qui a commencé sa carrière d’entrepreneur culturel en louant son lopin de terre aux cinéastes – et qui devint richissime.

De la même manière, le Secrétaire du parti de Huaxi organisa le développement de son village en fondant sur sa terre une aciérie, et puis le guida dans l’âge post-industriel, en le transformant en centre touristique. Le symbole suprême en est la nouvelle tour qui sort majestueusement de la terre plate de ce paysage. Devenus riches, les résidents originaires de Huaxi ont investi leur argent dans la nouvelle tour (chacun plus d’un million euros), cette merveille a couté quelques 300 millions. L’hôtel de 74 étages et 826 chambres est un centre de conférences sur „le modèle de Huaxi” et sert le tourisme, son restaurant de luxe peut accueillir plus de 1600 personnes. Des visiteurs il y en aura parce que Huaxi les attire avec ses Sept merveilles – parmi lesquelles la copie conforme d’un segment de la Grande Muraille ou encore la copie grandeur nature de la porte Tienanmen - eh oui, ici aussi! Et bien entendu, on y trouve le bœuf d’or pesant une tonne au 60ème étage, parce que cet animal symbolise, selon le guide de l’hôtel, l’honnêteté et la crédibilité des gens de Huaxi.

Si loin des terres bibliques les gens du village n’ont sûrement pas voulu faire allusion au veau d’or adoré jadis à un autre coin de la planète. Mais même si la tour de Huaxi sera rentable comme je l’espère, on peut supposer hélas que les habitants de la localité ne sont pas tous aussi opulents que les résidents d’origine - une très petite minorité – , devenus, eux, modèles „socialistes” peut-être, mais surtout millionnaires. Vivre si proche du bœuf d’or n’est pas le lot de tous mais son image fait rêver plus d’un milliard de Chinois – et nous aussi. Pourvu que le rêve ne disparaisse pas un jour dans les nuages que perce le gratte-ciel de Huaxi.

 

 

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