Beaux et amers

Beaux et amers

La mémoire du ghetto de Budapest


La veille de l’anniversaire de la libération du camps de concentration d’Auschwitz deux beaux livres viennent de sortir à Budapest grâce à l’audace d’une célèbre maison d’édition. Des poèmes dans une édition bilingue et de la prose, un récit dans la lignée des récits de Sholem Aléchem.   

 

  Des poèmes qui évoquent l’ambiance sinistre du ghetto en temps de guerre tel que l’écrivain Diener Péter l’a vécu : Dans Mémoire d’enfance – avec des vers où les mots doux s’écrasent sous le poids de l’horreur. Dans cet univers sinistre, il n’y a plus d’espoir et pourtant : l’écrivain a retrouvé son père vivant entre les morts sur une petite place dans le ghetto libéré par les soldats russes. « bric à brac – « lim-lom » 35.4pt"> me fait penser 35.4pt">à « l’hymne de l’homme » 35.4pt">oui malgré tout 35.4pt">et l’homme me fait penser 35.4pt">à « l’âme » 35.4pt">mais pas à la mienne 35.4pt">car je l’avais laissée 35.4pt">sur une petite place 35.4pt">dans le ghetto 35.4pt">à l’âge de quatorze ans »    Des poèmes qui cachent des récits où il n’y a pas que le tragique : l’ironie et l’humour aident à survivre certains moments. Ce sont « des poèmes juifs-hongrois en langue française qui répandent une tristesse infinie et invitent à se souvenir » – a écrit François Fejtő citant ces poèmes documentaires. Les poèmes traduits en hongrois avec talent et fidélité retrouvent à présent leur pays d’origine. Ils reviennent dans un pays ou même durant les jours les plus difficiles à vivre, à l’abri l’être humaine n’a pas perdu sa dignité . Entre deux bombardements, certains jouaient de la musique et bavardaient : une manière de s’exprimer contre des brutes, contre la barbarie. Péter Diener est universitaire. Il est né à Paris de parents hongrois, mais enfant il est revenu en Hongrie. Il est reparti en 1957 en France – et il a enseigné la littérature comparée et le russe et a écrit un roman dédié à la tragédie de la 2ème guerre mondiale : Le journal d’une folle ...   Il a rencontré à Toulouse le dessinateur Engel Tevan István et ils ont sympahisé dès les premiers instants. Cet artiste a vécu également – enfant - dans le ghetto de Budapest, et à l’âge de 8-9 ans il y a dessiné la vie quotidienne. En illustrant les poèmes il s’inspire de son propre vécu et de ses anciens dessins pour rendre l’authentique ambiance des années 44-45 et exprimer toute l’absurdité de la guerre.  Ce fut sa dernière série de dessins avant sa mort. Il est le descendant d’une grande famille d’imprimeurs. C’est Ildikó Tevan qui retrace la saga de la famille et qui relance cette maison d’édition également célèbre pour ses éditions bibliophiles françaises. Les poèmes récités par la comédienne Kata-Lina Varga sont déchirants : plus jamais nous ne voulons subir les horreurs de la guerre. Les textes étaient choisis et présentés par János Oberten.    Image retirée.Sable d’or est le titre du deuxième livre édité et présenté dont l’écrivain est connu par les trois majuscules magiques de son nom : BIG, Benedek István Gábor. Il a réussi à introduire dans les lettres hongroises une tradition juive dans la lignée des romans hassidiques avec ses récits plein d’humour et de nostalgie d’un monde révolu. Dans son village slovaque, Hongrois et Juifs ont vécu en paix avant la guerre, ce qu’il évoque dans son premier roman : La Torah de Komlós. Il parcourt toute l’histoire du 20ème siècle à travers la vie de son héros malheureux qui ne connaît rien des grands événements historiques – ce mélange d’ignorance et de volonté de fer, de fidélité à sa communauté, lui ont permis de traverser tous les dangers et de rapporter la Torah dans son village. Sable d’or se passe principalement en 1954 – parce qu’on en parle trop peu – dit l’écrivain – on évoque l’année 1956 mais non pas les antécédents. Le narrateur – comme son héros aux traits autobiographiques – nous rappelle souvent les années de la guerre, la persécution des Juifs et comment l’antisémitisme survit - plus au moins caché. Le héros, jeune journaliste stagiaire porte les blessures de la guerre, de la persécution. Des critiques rapprochent ce héros du jeune homme de Imre Kertész dans l’Etre sans destin. BIG décrit une tranche de la période de la démocratie populaire dans les villages – avec plein d’humour et de tendresse – ce que les illustrations réussies de Zoltán Vén expriment très bien. Il reste à faire découvrir au public francophone cet art de romancer dans une bonne traduction. L’écrivain nous parle également de la vie à la campagne en Hongrie à la veille de la guerre et puis les déportations en masse où les grands éditeurs – imprimeurs Kner et Tevan et la famille de l’écrivain ont subi le même sort – et se retrouvent dans des convois organisés par le même département de la gendarmerie. Ces familles qui ont contribué à pérenniser la littérature hongroise ont été chassées et déportées par leur patrie.     Image retirée.Un 27 janvier est un roman de Monique Gehler, lecture fascinante, le roman de la vie de Lívia Vajda, artiste-peintre d’origine hongroise. Survivante des camps de concentration, hospitalisée et guérie en France, pays qui lui a permis de mener une longue carrière d’artiste à succès, de fonder une famille et de retrouver une autre patrie. Assurément, pour sa fille « Manquent des racines, des liens des souvenirs de famille, un bric-à-brac avec des odeurs et des saveurs sentimentales. » Elle réclame ses grands-parents, l’histoire de sa famille. Quatre décennies se sont écoulées après Auschwitz quand Lívia Vajda a commencé à en parler.   Sa fille peintre et journaliste – grand reporter qui a parcouru le monde, auteur de plusieurs ouvrages – l’a écouté et a écrit un livre saisissant à la mémoire de sa mère. C’est aussi l’histoire croisée de deux femmes extraordinaires – deux artistes de grand talent qui mènent leur combat tout au long du récit avec les fantômes de la barbarie – c’est leur qualité humaine qui les sauve Lívia, dans la détresse et dans la proximité de la mort qui rode dans les camps, est capable de sauver une jeune femme enceinte. Ses souffrances l’ont marquée et pourtant, c’est une femme joyeuse, débordant d’énergie et – aux toiles très colorées – mais dans le regard des êtres dessinées c’est l’éternelle angoisse. Et cela ne s’arrête pas au visage, dans les belles jupes de filles, qui ressemblent un peu aux fleurs, il y a plein de visages d’enfants tristes avec, derrière, des masques menaçants. Il y a donc cette double lecture de tout ce qu’elle a vu, cet enfer qu’elle a traversé dans les camps. Ce qu’elle a appelé La procession, c’est à dire le cortège, là aussi, les images nous rappellent la déportation. « Mon camps a été libéré le 9 mai 1945. Un colonel juif du Birobidjan a ouvert la porte. Il pleurait. Comme nous. » C’est un livre fort : le récit dramatique est issu du vécu, du témoignage de Lívia Vajda. Sur la couverture un auto-portrait de jeune fille avec des couleurs incroyables du rouge, de l’orange, du vert et du bleu. C’est peut-être pour cela que Jérôme Garcin a écrit que « chez Lívia Vajda on pénètre sereinement en poésie. Une poésie radieuse, lumineuse, à la frontière du réel et l’imaginaire... ». Les couleurs y fleurissent ! Sa fille grand reporter et auteur de plusieurs livres a réussi à composer la confession croisée de deux artistes, témoins des tragédies du 20ème siècle et du tournant du siècle. L’écrivain Mona Gehler a traversé les mêmes problèmes que sa génération, la deuxième génération des survivants – restés longtemps inexplicables pour certains psychologues. Mona Gehler a tout surmonté, avec une carrière de journaliste, et même en enseignant le journalisme – elle a édité ses reportages d’investigation sur des pays lointains. Mais au fond de son âme, elle est artiste peintre – elle a hérité des talents de sa mère – après son roman autobiographique le temps est venu qu’elle puisse se consacrer à la peinture pour réaliser le rêve familial – s’épanouir et continuer sur le chemin de « la dynastie... » - comme disait Livia Vajda. Un roman qui mériterait d’être traduit en hongrois pour que soit mieux connue cette artiste peintre dont la vie édifiante est un appel à ce que de telle horreurs ne se reproduisent jamais plus.     Éva Vámos   Diener Péter : La mémoire du ghetto de Budapest : Avec les dessins d’István Tevan - édition bilingue traduite par Zsuzsa Oberten. Edition Tevan Alapítvány 2013   Benedek István: Aranyhomok. Illustrations: Zoltán Vén, Edition Tevan Alapítvány, 2014   Mona Gehler: Un 27 janvier (récit) Editions du Mauconduit, Paris, 2012    

 

 

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