Barenboim-Fischer : rencontre de deux grands musiciens, hommes de cœur et amis à la Grande Synagogue de Budapest

Barenboim-Fischer : rencontre de deux grands musiciens, hommes de cœur et amis à la Grande Synagogue de Budapest

Le 1er mars 2016, Simon Rattle, Daniel Barenboim et Ivan Fischer donnaient à Berlin un concert gratuit à l’attention des réfugiés et de ceux qui leur viennent en aide. Chaque chef dirigeant sa propre formation (1).

Ce 1er décembre, Daniel Barenboim et Iván Fischer se retrouvaient à la Grande Synagogue de Budapest pour y donner ensemble un concert de bienfaisance: recueil de fonds destinés à promouvoir l’organisation de concerts dans les synagogues hongroises. Au programme: Mahler (Blumine), Prokofiev (Ouverture sur des thèmes hébraïques) et Beethoven (3ème concerto avec Daniel Barenboim en soliste). L’Orchestre du Festival de Budapest (BFZ) étant donc placé sous la baguette de son chef permanent et fondateur Iván Fischer.

Barenboim-Fischer: une amitié de longue date et surtout, outre leur talent universellement reconnu de chef - et de pianiste pour Barenboim -, deux hommes qui ne cessent de militer en faveur de la paix et de la tolérance. Les lecteurs de ce site connaissent les innombrables activités déployées par Iván Fischer et son orchestre en ce sens, également pour promouvoir la musique auprès des différentes couches de la société, voire des plus démunis. Tout cela a été largement commenté dans ces colonnes (2). Quant à Daniel Barenboim, il nous suffira de rappeler que, déclaré en 2002 „Messager de la Paix” par les Nations Unies, il a fondé en Israël un orchestre réunissant jeunes musiciens israéliens et palestiniens. Disposant de la nationalité israélienne, il s’est également vu attribuer la nationalité palestinienne...(3). Une action également déployée pour faire connaître et promouvoir la musique classique au Proche Orient.

Pour ouvrir la soirée, un ensemble réduit de l’orchestre (formation de septuor avec solo de clarinette) nous servit, tandis que musiciens et public finissaient de prendre place, des airs de musique klezmer, joués tout en finesse. Puis est venu le premier morceau inscrit au programme: l’Ouverture sur des thèmes hébraïques de Serge Prokofiev. Composée en 1919 lors d’un séjour que le compositeur effectua à New York, il s’agit d’une œuvre rarement jouée. Et pourtant... une musique qui enchanta le public. Une œuvre qui, par son élégance, par ces lents rythmes prononcés bien typiques et cette prééminence des bois, s’inscrit on ne peut mieux dans le style du compositeur russe. Suivait une pièce pour le coup tout-à-fait inédite. „Blumine” de Gustav Mahler. Composée lorsqu’il résidait à Budapest où il dirigeait l’Opéra, il s’agit d’un mouvement initialement destiné à sa Première symphonie, mais qu’il retira par la suite. Pour le coup, l’audition de ce morceau confirme bien qu’Iván Fischer et son orchestre sont particulièrement à l’aise dans la musique du compositeur viennois, apparemment l’un de leurs favoris.

Enfin, pour clôturer - et couronner -  le programme, venait le clou de la soirée: le 3ème concerto pour piano de Beethoven avec Daniel Barenboim en soliste. L’interprétation qui nous en fut donnée dépasse tout commentaire, ce qui ne surprendra personne. Bref, la perfection. Peut-être moyennant cette remarque concernant l’acoustique qui, avec une légère, mais discrète résonance, favorisait cuivres et timbales et conférait au piano un éclat particulier. Des écrans étaient disposés tout le long de la nef et au-dessus de l’orchestre, de sorte que l’on pouvait suivre en gros plan les doigts du pianiste parcourant le clavier.             

En complément, Baremboim nous servit une belle interprétation de la 3ème Ballade de Chopin. Pour ne pas être en reste, son ami Fischer, quant à lui, conclut le concert en dirigeant un chœur séfarade chanté par les musiciens de l’orchestre. On retrouve là une habitude bien chère au chef hongrois. Déposant leurs instruments, les musiciens chantèrent à l’unisson, fort bien, je dois dire. Puis, tandis que tout ce petit monde se retirait, la même formation du début nous servit un air de musique klezmer.    

Voilà pour la partie musicale. Mais, peut-être plus encore que son programme musical en soi, c’est surtout par son esprit que cette soirée se révéla remarquable. Prenant la parole, Iván Fischer rappela au public les thèmes mille fois répétés - mais on ne les répétera jamais assez - qui lui sont si chers: au travers de la musique, apporter un message de tolérance et de fraternité entre les hommes tous égaux et dignes du même respect. Dans le contexte plus particulier de la soirée, Fischer évoqua les sorties effectuées avec son orchestre dans les communes de province, autrefois peuplées d’une communauté juive, aujourd’hui pratiquement disparue (4). Trouvant le plus souvent des synagogues abandonnées, parfois en ruine. L’objet est donc de leur redonner vie en y organisant des concerts qui, à défaut de culte, y attireront un public local, leur imprimant de la sorte un nouveau souffle. Retombée inattendue: le retour au village de certains Juifs émigrés, ne serait-ce que le temps d’un concert; qui, souvent, contribuent du même coup à financer la restauration des édifices.

Propos auxquels se joignit Barenboim qui, au passage, eut le beau geste d’honorer la mémoire de Zoltán Kocsis,  pianiste hongrois récemment disparu.    

Une soirée qui restera pour longtemps inscrite dans les annales de la vie musicale hongroise. Sans oublier de mentionner le merveilleux cadre de la Synagogue, pleine à craquer avec ses 3 500 places.

Pierre Waline


(1):
Rattle: orchestre philharmonique de Berlin, Barenboim orch. du Staatsoper de Berlin et Fischer orch. du Konzerthaus de Berlin.

(2): cf „Budapest, capitale de la musique”, (francianyelv.hu, 4 novembre 2016 / jfb.hu, 6 novembre 2016)

(3): au départ de nationalités israélienne et argentine, Daniel Barenboim s’est également vu attribuer les nationalités espagnole et palestinienne. Titulaire entre autres du Prix Grammy, Daniel Barenboim est par ailleurs Grand Officier de la Légion d’Honneur.

(4): Rappelons qu’entre mai et juillet 1944, plus de 400 000 Juifs de province furent déportés - en  quelques semaines - dans les camps d’Auschwitz-Birkenau.

 

 

 

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