La ségrégation à l’école

La ségrégation à l’école

Malgré la loi sur l’égalité des chances et l’existence d'un délégué au Parlement pour la protection des droits des minorités ethniques, dans les écoles, la séparation des enfants tziganes se poursuit.

 

Le bâtiment de l’école est divisé en deux par une porte vitrée couverte d’un rideau et qui ferme à clef. Des deux côtés, deux mondes différents. A Jászladány, la première école privée créée il y a quatre ans au sein d'une école municipale, les enfants “normaux”sont ainsi séparés des “autres”, ceux qui travaillent de l’autre côté de la porte vitrée : des enfants tziganes issus de familles extrêmement défavorisées et considérés par les pédagogues comme des cas désespérés.

Séparation, de droit ?

«Une école de la ségrégation subventionnée par la municipalité», affirment ceux qui luttent depuis des années, sans aucun résultat, pour la protection des droits et contre ce type de discrimination. «C’est un problème spécifique relevant de la politique de l’enseignement. Ce sont les médias qui en ont fait une question raciale», affirme quant à lui István Dankó, le maire de la commune qui, malgré le scandale, défend l’idée de l’école privée. Idée qu'il a déjà défendue avec succès face à l’ancien ministre de l’éducation nationale, Bálint Magyar, à l’ancien ministre de l'éducation, Viktória Mohácsi, à l’Autorité du Traitement Egalitaire, le bureau des services publics et des activistes des droits civiques. Pour que cette entreprise ne soit pas contraire aux lois, il a sollicité l’aide de György Kollár, spécialiste du droit constitutionnel. Selon la jurisprudence, toute municipalité a le droit de diviser les bâtiments dont elle est propriétaire et d’en louer une partie à une école privée.

László Kállai, directeur de la Fondation des Droits Civiques des Roms de Jászság, a organisé plusieurs manifestations, la dernière en janvier dernier, parce que les enfants étudiant dans la partie séparée de l’école devaient sortir dans la rue pour aller à la cantine. Selon Kállai, l’objectif est certainement que les enfants ne se mélangent pas même pendant les récréations. «Ceux qui nous accusent d’accorder des subventions à une institution pour des raisons raciales et de pratiquer une politique “d’apartheid”, accusent également la juridiction et la législation hongroise», s’est écrié le maire lors de l’assemblée municipale fin janvier dernier.

Face à la loi

Ces dernières années, il y a eu en Hongrie deux programmes de recherche pour diagnostiquer le nombre de classes composées d’enfants tziganes apprenant dans des conditions de ségrégation. Entre 1999 et 2000, Gábor Havas, István Kemény et Ilona Liskó ont trouvé deux cents écoles où l’on séparait les enfants selon leur appartenance raciale. Après des recherches plus étendues, en 2003 et 2004, Havas et Liskó en ont tiré la conclusion suivante : dans plus de six cents écoles (qu'ils ont étudiées) il existe 1250 classes dont les élèves sont séparés, dont 900 qualifiées de classes “handicapées” et il y a dans tout le pays environ 3000 classes constituées majoritairement d’enfants tziganes. Ni les passages de la Constitution prohibant la discrimination négative, ni la loi sur l’égalité des chances, ni le département chargé de l’intégration au ministère de la culture et de l’éducation nationale ne sont donc aptes à empêcher que les enfants tziganes ne soient entassés - avec la participation latente ou patente des municipalités locales - dans des écoles qui ne leur offrent aucun débouché, sinon vers des formations spécialisées menant droit au chômage. Selon certains sondages, parmi les jeunes Roms qui continuent leur scolarité dans des institutions formant des ouvriers spécialisés, 30% abandonnent leurs études, et seuls 10% acquièrent une qualification qui pourrait leur permettre de trouver un travail. Alors que les débats qui existent entre les politiques, les sociologues et les pédagogues au sujet de la population tzigane sont souvent orageux, sur un point, au moins, le constat est le même : l’augmentation de la misère et la marginalisation ne sont rendues possibles que par l’intermédiaire des écoles.

Le programme de lutte contre la ségrégation scolaire figurait dans la campagne électorale du Parti Socialiste hongrois en 2002, pourtant jusqu'à présent aucune initiative n'a été suivie d'effets. Quant aux associations civiles, peut-être arriveront-elles enfin à provoquer un changement positif. En automne, la fondation “Des chances pour les enfants marginalisés” a embrassé la cause des Roms de Jászladány et, dans certaines communes, des procès contre les municipalités ayant mis en place des mesures ségrégationnistes ont été ouverts. Ainsi, récemment, à propos de l’école située à proximité de la communauté tzigane de Miskolc, le tribunal a prononcé un verdict selon lequel la mairie était jugée responsable de telles pratiques. Lilla Farkas, avocate de la fondation, et ayant plusieurs années d’expérience dans ce genre de contentieux, a confié que «l’objectif du procès suivant sera que le tribunal, outre le fait de condamner la ségrégation, oblige les dirigeants de la commune en question à mettre fin à cette pratique fautive. En cas de victoire, on peut s’attendre à toute une série de procès similaires partout dans le pays».

Question de moyens

Pourtant, ce ne serait pas une solution en soi car ce problème ne saurait être réglé sans que l'éducation nationale n'alloue les fonds nécessaires, c'est-à-dire que soit mise en place une politique de subvention satisfaisante.

Le département du ministère qui élabore le programme d’intégration cherche à faire en sorte que les responsables distribuent, entre autres, les fonds du Deuxième Projet de Développement National – comprenant plusieurs centaines de milliards de forints à destination du développement de l’enseignement public - selon des modalités susceptibles d’entraver la ségrégation et l’inégalité des chances.

L’examen des dossiers est régi par le principe de la tolérance zéro : une école qui impose la ségrégation n’aura pas un sou, pour l’exemple. De même, une institution séparant les enfants tziganes ou ne faisant rien pour les garder ne peut pas avoir de subvention pour la construction d’une salle de sport, par exemple. Dans les communes où le taux des enfants marginalisés atteind plus de 40% et où au moins 15% des enfants en âge scolaire vivent dans des conditions difficiles, un contrôle sévère sera effectué par 75 spécialistes qualifiés de l’égalité des chances. Dans les communes en proie à la ghettoïsation - où le problème ne concerne pas que les enfants puisque la majorité ou la totalité de la population est ou bien tzigane ou bien très pauvre - les écoles possédant un nombre d’élèves stable devraient être modernisées à l’aide d’une subvention gouvernementale ciblée.

Les causes

de la ségrégation :

– Dans l’esprit de la liberté du choix de l’école, l’Etat, en assurant des bus scolaires, épaule le phénomène qui consiste à ce que les parents plus aisés inscrivent leurs enfants à l’école d’une commune voisine au lieu de l’école de leur lieu de résidence, “tziganisée”.

– La société témoigne d’une volonté majoritaire très forte de séparer les Tziganes, volonté que les autorités municipales - qui représentent la volonté de la majorité de ses électeurs - tentent de satisfaire.

– Les lacunes de la formation pédagogique du personnel d’enseignement le laissent démuni face au problème des enfants marginalisés.

– Le manque de programmes pédagogiques ciblés qui pourraient aider à vaincre les désavantages issus de la marginalisation sociale.

Erna Sághy

Traduit par Zsófi Molnár

 

 

Manifestation à Jászladány. Ecole partagée, village partagé. Photo : MTI

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