Découvrir la poésie hongroise: József Attila

Découvrir la poésie hongroise: József Attila

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La Hongrie est une nation de poètes : les œuvres les plus représentatives de la littérature hongroise appartiennent à la poésie. J'ai donc choisi de vous présenter un poète majeur et qui m'a particulièrement touchée : Attila József, poète précoce et surdoué à l'incroyable destin qui constitue à sa manière l'une des figures les plus éminentes de la poésie hongroise du vingtième siècle.

Attila József (1905-1937) a été très influencé par la poésie de Endre Ady (dont il a d'ailleurs eu du mal à se démarquer dans ses tous premiers poèmes).

Séjourner en Hongrie sans connaître Attila est chose impossible, du moins de nom, car nombreuses sont les rues qui portent son nom ! En outre, à l’occasion du centenaire de sa naissance, l’Unesco a décrété l’année 2005 «année Attila József», et le 11 avril, date de sa naissance, a été décrété fête de la poésie en Hongrie. Surtout, on ne peut comprendre la poésie européenne sans avoir lu et relu Attila József. Enfin, sa poésie est inondée de musique et est très rythmée ; très accessible dans la mesure où elle n'est pas difficile à comprendre : bref, on aurait tort de s’en priver !

Parce qu’on comprend nettement mieux ses poèmes si on connaît bien sa vie (Attila József met toute sa vie dans ses poèmes) je vous propose de l’évoquer brièvement.

Ne dit-il pas dans un de ses poèmes :

 

« Je ne veux qu'un lecteur pour mes poèmes :

Celui qui me connaît - celui qui m'aime -

Et, comme moi dans le vide voguant,

Voit l'avenir inscrit dans le présent.

Car lui seul a pu, toute patience,

Donner une forme humaine au silence. »

 

Attila József naît en 1905 à Budapest, d’un ouvrier savonnier et d’une ancienne domestique, tous deux orthodoxes. Son père s’expatrie en Roumanie, abandonnant femme et enfants et les laissant sans le sou. Il est alors confié à des parents adoptifs. Enfant pauvre des campagnes, Attila garde les cochons. Sa mère le reprend finalement avec elle et ses deux filles à Budapest. Mais lessiveuse, elle travaille très dur du matin au soir. L’enfant est livré à lui-même et fait l’école buissonnière.

A l’âge de onze ans, il commence déjà à écrire des poèmes. Il porte alors deux prénoms, Attila (choisi par ses parents) et Pista (nom donné par ses parents adoptifs de la campagne) mais préfère Attila car il peut ainsi se donner une image de héros, le roi Attila. De là lui vient sans doute son désir de se tourner vers la littérature, de sa capacité à être un autre, à inventer un personnage. Mais aussi et surtout la pauvreté et la souffrance le font se réfugier très tôt dans l'écriture : il n'a que dix-sept ans quand paraît son premier recueil...

A la mort de sa mère, il se retrouve chez un tuteur, où il doit travailler pour se nourrir et voler du charbon pour se chauffer; d'une sensibilité exacerbée, il fait alors plusieurs tentatives de suicide et ce, dès l'âge de 9 ans. A quinze ans il s'engage comme mousse au fil du Danube.

Il réintègre ensuite le lycée et tombe amoureux de la fille du Proviseur, pour laquelle il publie un poème tellement enflammé dans un journal local qu'il est renvoyé du lycée ! Il avale du coup 60 cachets d'aspirine mais sans réussir à se donner la mort. A 17 ans, il est un surdoué écorché. Il entre à la Faculté de lettres de Szeged où il se spécialise dans le hongrois, le français et la philosophie. C’est à cette époque qu’il rédige Cœur pur , qui devient très vite célèbre mais pour lequel on l'accuse alors de blasphème. Selon Hatvany, ce poème représente le «témoignage par excellence de la génération de l’après guerre»:

 

« Je n’ai ni père ni mère,

Rien que je rêve ou j’espère.

Je n’ai ni Dieu ni patrie,

Berceau, cercueil, tendre amie.

 

De trois repas, pas un repas :

Oui, ce qui s’appelle pas.

Ma puissance, c’est vingt ans :

Ma puissance, je la vends.

 

Et pour peu que nul n’en veuille,

Que le diable, lui, l’accueille !

Je volerai, l’âme pure,

Et tuerai, je vous assure.

 

Mais qu’on m’arrête et me pende

Et qu’à la terre on me rende,

Maléfique et sûre, une herbe

Sourdra de mon cœur superbe. »

 

Certains de ses poèmes étant censurés, il quitte la Hongrie. Il s’installe à Vienne, en 1925, où il vit de petits boulots (crieur de journaux, marchand de limonade dans les cinémas, garçon de café à la célèbre brasserie Emke, …) tout en découvrant Hegel et Marx. Il est l’hôte du château des Hatvany.

L’année suivante, à Paris, il entre à la Sorbonne et y découvre Villon. Mais il ne se remet pas d’une rupture affective et est très vite atteint de dépression nerveuse. Souffrant même de paranoïa, il fait plusieurs séjours dans des sanatoriums. Il se réfugie dans l’écriture et vit de ce qu’il écrit. Il entre clandestinement dans le parti communiste hongrois. Il est fasciné par Freud.

En 1934, il se retire chez une de ses sœurs en province. Il écrit alors son célèbre poème, Ma Patrie, un de ses poèmes militants et philosophiques qui marquent le sommet de son art et dont voici quelques extraits :

 

«Hongroise malgré tout, mais exilée chez elle,

Mon âme forme et clame un suprême dessein:

Que ma douce Patrie m'accueille dans son sein

Et que je puisse enfin être son fils fidèle.

Qu'un ours pataud traîne à la chaîne qui le pèle,

Je n'accepterai pas que ce sort soit le mien.

Je suis poète. Enjoins au procureur au moins

De ne pas m'arracher ma plume dans son zèle.

Tu as donné des paysans à l'océan.

Donne le sens humain aux hommes maintenant,

Donne au peuple magyar le génie de sa terre.

Qu'il ne soit pas la colonie des Allemands,

Ce pays.Que mes vers soient d'une beauté claire.

Ô ma patrie, fais qu'ils soient plus heureux, mes chants !»

 

Il meurt à l’âge de 32 ans, s’étant jeté sous un train, en 1937. Celui qu'on surnommera le «Rimbaud magyar» aura écrit plus de 400 poèmes, dont, parmi les plus connus : Coeur pur, ses deux magnifiques berceuses Altató et Ringató, son poème sur le Danube, Maman, et Ode, l'un de ses plus célèbres poèmes d'amour.

 

 

Voici l'une de ses berceuses (berceuse pour endormir, Altató) :

«Le ciel ferme ses grands yeux bleus.

La maison ferme tous ses yeux.

Le pré dort sous son édredon.

Endors-toi mon petit garçon.

 

Sur ses pattes la mouche a mis

Sa tête et dort. La guêpe aussi.

Avec elles dort leur bourdon.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Le tramway rêve doucement

Endormi sur son roulement.

Dans son rêve il sonne à tâtons.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Sur la chaise la veste dort

Et son accroc dort corps à corps

Il n’en deviendra pas plus long.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

La balle est vaincue, le sifflet

Somnole comme la forêt.

Et même il dort le gros bonbon.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Tu auras l’espace et la terre

Comme tu as ta bille en verre.

Tu seras géant pour de bon.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Tu seras pilote et soldat.

Berger des fauves tu seras.

Ta maman dort, et sa chanson.

Endors-toi, mon petit garçon.»

 

Bien qu'avec la parution de son recueil Ni père ni mère (dont est extrait Coeur pur) il perde l'estime et l'intérêt de la critique moderne, à sa mort il devient le poète le plus connu et le plus estimé de la littérature contemporaine, objet d'un véritable culte; comme si sa fin tragique avait entraîné un phénomène de repentir collectif.

Clémence Brière

Attila József, Aimez-moi – L’œuvre poétique, aux éditions Phébus, 700 pages, 2005

 

A suivre dans le prochain JFB (sortie le 24 juillet): Ady Endre, le poète «inspiré».

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