Moszkva tér 1989-2009

Moszkva tér 1989-2009

Baptisée ainsi en 1951, cette place a donné son nom à un de ces films nostalgiques de l’insouciance perdue des teenagers hongrois de 1989. Carrefour inévitable entre les beaux quartiers de Buda et le reste de la ville, point de départ des rendez-vous du samedi soir et des excursions du dimanche, la place reste le symbole d’une Hongrie qui change sans changer.

Le 25 avril 1989, il y avait probablement des jeunes qui se passaient une bouteille de bière en chahutant. Après tout, il y en a encore aujourd’hui. Le film de Ferenc Török est plus intemporel qu’il n’y paraît. En 1997, il y avait encore des étudiants qui vendaient des faux billets de trains ; et qui n’a pas attendu un ami sous la vieille horloge qui fait face au métro ?

En 1989, il n’y avait ni Mammut ni McDonald’s tandis que la misère régnait déjà partout. Le matin, les hommes désoeuvrés à la recherche d’un travail au noir attendaient un recruteur éventuel et abordait toute personne dont l’apparence pouvait laisser penser qu’il en fût un. Même si ce phénomène a quasiment disparu, certains tentent encore leur chance aujourd’hui.

En 1989, Adrienn avait cinq ans et mangeait son premier hamburger hongrois. Le hamburger hongrois est un cousin éloigné du hamburger américain. Curieusement, bien que cet aliment ne soit pas spécialement bon, quoique extrêmement nourrissant, il est encore très recherché aujourd’hui. Le kiosque en face du métro est depuis deux mois plus spécialisé dans les Gyros, mais on y trouvait depuis vingt ans ce gourmet indescriptible. Un mélange d’éponge, de choux, de salade passée avec au milieu une tranche de viande hachée d’une couleur alarmante qu’Adrienn achète aujourd’hui encore et dont elle vante la supériorité sur la version d’outre-atlantique.

En 1989, comme aujourd’hui, des vendeurs et vendeuses à la sauvette, vous proposaient leurs produits. Des femmes pauvres, vendant vêtements ou dentelles, qui disparaissaient comme un vol d’hirondelles à l’arrivée des deux policiers bonhommes qui faisaient leur ronde. Aujourd’hui, les petits maffieux qui vendent des appareils photos numériques ou des téléphones ne se donnent pas cette peine, ils se contentent d’attendre que le danger soit passé.

En 1989, comme partout, des alcooliques en gris, cuvaient assis sur les murets en interpellant les passants avant de rentrer chez eux. Ceux d’aujourd’hui, n’ont plus de chez eux mais leurs vêtements sont plus colorés.

En 1989, il y avait plus de bouges, des bars sordides où l’on buvait du vin aigre coupé d’eau gazeuse pas minérale pour deux sous. Les étudiants comme les ouvriers y refaisaient le monde, s’offrant parfois une bière tiède qu’accompagnait une eau de vie qui n’avait jamais vu d’abricot. Les yeux étaient rouges et les visages bouffis mais l’on riait beaucoup. Aujourd’hui, c’est une tristesse indéfinissable que l’on peut lire sur le visage des quelques survivants. A deux pas du dernier de ces établissements peu recommandables, des jeunes femmes insouciantes, belles comme des étoiles filantes, lèvent leur mojito à des avenirs de rêve.

Les fantômes de 1989 cohabitent avec le présent, ils gagnent même parfois beaucoup d’argent. Simplement, entre deux bouchées de filet de boeuf, ils se souviennent. Comme ce personnage du premier Valami Amerika, ils cherchent le kolbasz d’antan et l’insouciance d’alors. La liberté, lorsque l’on ne s’en sert pas, est parfois plus difficile que le servage. Lorsque l’on peut changer les gouvernants, on est responsable. Il ne s’agit plus de lutter contre un système mais de participer à l’édification d’une nouvelle société. Depuis 1989, le régime a changé mais les Hongrois ne semblent pas comprendre les implications de ce changement. Nostalgiques du servage, ils se réjouissent toujours de l’argent volé et des petits détournements, sans se rendre compte que ce sont leurs enfants qu’ils volent. Moszkva tér, c’est la Hongrie en tout petit et depuis 1989, rien n’a vraiment changé si ce n’est le décor.

Xavier Glangeaud

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