DANSE: Emmanuel Gat au Trafó

DANSE: Emmanuel Gat au Trafó

1913 : la chorégraphie de Vaslav Nijinsky dans les décors et costumes de Nicolas Roerich fait scandale. Les mouvements grotesques, voire « hystériques », laissent le public complètement désorienté. Mais c’est aussi la « faute » à la musique de Stravinsky, avec ses rythmes frappants et harmonies bouleversées et bouleversantes. Depuis cette date historique, Le Sacre du printemps a été revisité de nombreuses fois par des chorégraphes de renom, parmi lesquels Maurice Béjart (1959) ou Pina Bausch (1975). Et toujours avec un succès bruyant. En voici la version la plus récente, grande révélation du Festival d’Uzès de 2004, celle d’Emanuel Gat qui s’intéresse avant tout à la finesse de cette musique peu ordinaire. Il s’agit d’une belle rencontre, car «Emanuel Gat ne fait rien comme tout le monde», comme le dit un critique. Aucun décor, sauf un tapis au milieu de la scène, que des lumières et du mouvement ! Des gestes purs, clairs, dotés d’intelligence et de grâce, c’est ce qui constitue le corps de cette chorégraphie – et c’est ce qui lui donne aussi sa force. Les pas de salsa sensuels, en accéléré ou au ralenti, dessinent toute une histoire sans toutefois vouloir donner un fil narratif au Sacre. Car Emanuel Gat est un vrai puriste, il ne fait que creuser ce qui est déjà là, sous nos yeux. Il interroge le mouvement guidant la musique et, à l’envers, la musique résidant dans le mouvement.

 

Ce jeune chorégraphe israélien aux origines marocaines et père de cinq enfants, a quitté sa patrie pour pouvoir garder sa liberté artistique indépendamment des contraintes politiques. Il s’est établi dans le Sud-ouest de la France ou il a créé sa propre compagnie, Emanuel Gat Dance, en 2004. Pour lui, la danse est une révélation relativement tardive puisqu’il commence à l’âge de 23 ans. Il crée sa première chorégraphie en 1994 sur la musique de Bach – même s’il le voulait, il ne pourrait pas nier qu’il s’était préparé, pendant longtemps, à devenir chef d’orchestre. Viennent ensuite Mozart, Stravinsky et Schubert, avant d’arriver au Silent Ballet, spectacle qui illustre sans aucun détour ses efforts. Depuis quelques années, sa présence fait événement dans des festivals, Emanuel Gat Dance en France et dans le monde entier, et le Sacre et Voyage d’hiver (sur trois chants du cycle éponyme de Schubert) ont été récompensés par un Bessie Award à New York en 2007 (l’un des prix les plus prestigieux dans l’univers de la danse).

A Budapest, au Trafó, la compagnie propose justement ce double programme puisque le Sacre sera précédé de Voyage d’hiver avec Gat lui-même en compagnie de Roy Assaf qui se produiront sur la voix inimitable de Dietrich Fischer-Dieskau. De l’élégance à tous les niveaux, de la composition à l’interprétation : deux danseurs, deux hommes plutôt, en tuniques longues bleu clair raconteront de leurs corps grandiloquents tout ce qui peut se passer entre deux êtres humains, du calme d’une relation harmonieuse à la cruauté de la lutte éternelle.

Emanuel Gat a certainement pris une bonne décision (ou au moins très salutaire du point de vue de son public) en choisissant cette carrière. Et il n’a même pas le temps de s’ennuyer : une dizaine de jours après la tournée de sa compagnie à Budapest, les répétitions de sa nouvelle chorégraphie commandée commenceront à l’Opéra de Paris.

Sophie Lemeunier 

 

Les 6 et 7 mars 2009 au Trafó Maison des Arts Contemporains,

9e arr., Liliom u. 41.

 

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