Francophone jusqu’au bout des doigts

Francophone jusqu’au bout des doigts

Rencontre avec Melinda Erdőháti

 

Alors que le musée des Beaux-Arts vient d’inaugurer une grande exposition sur Gustave Moreau, je rencontrais pour le JFB Melinda Erdôháti, assistante auprès du conservateur en chef, pour une conversation à bâtons rompus sur son parcours, au gré de ses envies et des aléas de l’Histoire, de sa Roumanie natale à Budapest en passant par la Belgique.

 

 

«Je pensais qu’un francophone était quelqu’un originaire d’un pays francophone : un Canadien, un Belge, un Suisse… Mais la première fois que j’ai entendu que la Roumanie était un pays francophone, j’étais vraiment très étonnée !»

Melinda s’amuse de se savoir francophone, et n’est pas peu flattée de ce qualificatif car rien ne la prédisposait à apprendre le français. Certes, dans sa Roumanie natale, les enfants apprennent le français dès l’âge de sept ans, après l’anglais – «de là à dire que tous les Roumains parlent français… c’est un peu exagéré», mais ce n’était pas le cas de Melinda qui a appris le français… à Bruxelles.

«On peut dire que mon destin a changé il y a vingt ans, en 1989, avec le changement de régime. Je suis hongroise de Transylvanie, mes parents sont hongrois, ma langue maternelle est le hongrois. On était donc citoyens roumains de nationalité hongroise. J’ai ainsi étudié dans une école hongroise tout en parlant roumain, parce que c’était obligatoire d’une part, mais aussi normal de connaître la langue de la majorité du pays dans lequel nous vivions». «En 1989, j’avais 19 ans et nous avions fait connaissance avec des familles belges qui, dans cet élan d’enthousiasme qui accompagnait la révolution, souhaitaient aider la Roumanie et les Roumains. C’était dans le cadre de «L’opération villages roumains», lorsque de nombreux Belges sont venus en Roumanie et qu’un jumelage a été organisé entre mon village et un village belge. J’avais alors échoué à mes examens d’entrée aux Beaux-Arts de Budapest et une famille m’a donc proposé de commencer mes études en Belgique, de rester un an et puis de voir… J’ai donc commencé par un an et je suis resté dix. Voilà».

 Mais l’enthousiasme du départ a fait place à d’autres sentiments, plus partagés : «On aide la petite Roumaine malheureuse qui n’y connaît rien à la société civilisée, c’est un peu ainsi que j’ai ressenti les choses. Il faut dire que j’avais 20 ans et que j’étais un peu rebelle, mais c’est vrai qu’après un an j’ai eu quelques pro-blèmes avec la famille, on ne se comprenait pas vraiment bien. J’ai donc eu envie de devenir indépendante et de déménager à Bruxelles. Pour ne pas me sentir redevable. Pendant les vacances, j’ai alors commencé à travailler dans une société de nettoyage et durant l’année, dans une sandwicherie. Je suis la reine des sandwichs au thon et des Américains ! (Sandwich au steack haché cru et mayonnaise)».

Pourquoi être restée 10 ans ?

«Parce que j’ai continué mes études, et puis j’étais amoureuse… Mais en 1996, j’ai connu un moment d’impatience : j’avais l’impression de ne rien réussir, que ma vie artistique ne décollait pas, etc. J’ai donc décidé de revenir. Mes parents habitaient déjà en Hongrie à ce moment-là et c’est donc à Budapest que je suis “rentrée”. Je suis restée 4 mois et j’ai cherché du travail, en vain. J’ai même postulé au lycée français pour donner des cours d’arts plastiques. J’ai été reçue par le directeur de l’époque, qui s’est montré très diplomate, mais lorsque j’ai rappelé le lycée suite à cet entretien, on m’a répondu que la législation obli-geait le lycée à n’embaucher que des francophones… Alors ? Je suis francophone, oui ou non ?, ajoute-t-elle amusée. Oh, depuis, peut-être les choses ont-elles changé…»

«Je suis donc retournée en Belgique où je suis devenue stagiaire au Comité des Régions – nous n’étions pas encore dans l’UE bien sûr. J’étais ensuite évaluatrice de projets à la DG Culturelle de la Commission européenne, puis j’ai travaillé pendant trois ans en tant que rédactrice adjointe dans une émission européenne, Antenna, pour RTL Hongrie. Mais en 2001, après deux ans de questionnements existentiels et une rupture, j’ai décidé de “revenir” en Hongrie, où je n’avais finalement jamais vécu. Mes parents étaient là d’une part, et la Roumanie que je connaissais dans les années 80’ était tellement différente de celle des années 2000 que je n’y étais plus chez moi. Et puis, malgré de profonds changements, certaines choses, comme la corruption, n’avaient pas changé, mais aussi le système social, les hôpitaux, les transports… après avoir vécu en Belgique, je ne pouvais alors pas envisager de retourner en Roumanie, même si maintenant je regarde les choses différemment ».

«Je suis ici depuis sept ans mais les débuts ont été difficiles : avec mes diplômes, mes expériences professionnelles, mes stages, les langues que je parlais, il m’a tout de même fallu un an pour trouver du travail. J’ai écrit partout, dans tous les musées, les centres culturels, et en particulier dans les trois endroits où j’avais vraiment envie de travailler à l’époque : le Musée des Beaux-Arts, l’Institut Français et Hungarofest, qui est le bureau d’organisation des festivals et autres événements culturels. Et finalement j’ai travaillé avec les trois !», souligne-t-elle amusée.

«En 2002, j’avais finalement été acceptée dans un bureau qui s’occupait des programmes de mobilités pour les jeunes, Mobilitas Service National pour la Jeunesse. Je travaillais chez eux depuis un mois lorsque j’ai reçu un coup de fil du Musée des Beaux-Arts, dont le conservateur était très enthousiaste à la lecture de mon CV. Il cherchait alors des gens pour l’organisation de l’exposition Monet et ses amis. J’ai donc rompu mon contrat et je suis partie aux Beaux-Arts pour cette expo qui a connu un énorme succès ».

C’est donc grâce au français que tu as trouvé du travail ?

« Mais oui, et tout ce que j’ai réussi dans la vie, je le dois beaucoup au français. Je n’ai jamais gagné ma vie grâce à mes diplômes, j’ai gagné ma vie parce que je parle des langues, surtout le français. C’était bien sûr le cas avec cette exposition, mais suite à cette expérience, le Musée des Beaux-Arts ne pouvait rien me proposer. C’est alors que Hungarofest m’a contactée dans la foulée pour devenir la coordinatrice de la saison culturelle hongroise aux Pays-Bas, ce que j’ai accepté même si mon ami de l’époque a refusé de me suivre ! Une expérience formidable, avec 120 événements culturels en cinq mois. C’est alors que le commissaire de l’exposition Monet m’a demandé de revenir aux Beaux-Arts car il préparait une exposition sur Van Gogh pour laquelle il a réussi à me convaincre de revenir et de rester puisque j’y travaille depuis 2005 en tant qu’assistante auprès du conservateur en chef ».

«Pour l’exposition Gustave Moreau, qui est tout de même moins connu que Monet ou Van Gogh, j’ai parié avec le directeur qu’elle serait également un succès car les Hongrois sont curieux, et l’affiche est tellement belle avec la Salomé tatouée !»

C’est en son honneur que Melinda arbore sur ses mains de jolis motifs tracés au henné. Un joli moyen de la reconnaître si vous passez par le musée des Beaux-Arts ces temps-ci.

Frédérique Lemerre

 

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