«La classe politique a besoin de renouvellement »

«La classe politique a besoin de renouvellement »

La situation des minorités, la popularité du parti Jobbik, les prochaines échéances électorales ou la communication du gouvernement Bajnai: le polititologue Gábor Török revient pour le JFB sur les aléas de la vie politique hongroise depuis le changement de régime, sans jamais se départir de son optimisme.

Gábor Török, diplômé de l’Université Eötvös Loránd de Budapest, est politologue, historien et analyste politique. Il a été secrétaire général de la Société hongroise de sciences politiques (Magyar Politikatudományi Társaság) pendant six ans et dirigeant de l’Institut d’expertise politique fondé par le parti libéral SZDSZ. Depuis 1998, il apparaît souvent à la télévision en tant qu’analyste des résultats électoraux ou référendaires. Co-auteur de plusieurs livres sur le système politique de la Hongrie, il est également professeur à l’Université Corvinus de Budapest et fondateur, en 2002, d’un Institut de recherche politique Vision Politic. Depuis 2006, Gábor Török fait partie du comité des conseillers politiques du président de la République László Sólyom.

JFB: Alors que la Hongrie fête le 20e anniversaire du changement de régime, le moral des citoyens est à son niveau le plus bas depuis 1989. Outre les difficultés sur le plan économique, la société est divisée et la situation des minorités est de plus en plus difficile. La Hongrie a-t-elle commis des erreurs dans la construction de sa démocratie?

Gábor Török: Même si le sentiment général des citoyens est tel que vous le décrivez, je ne pense pas qu’on se soit trompé de chemin. La Hongrie traverse une période difficile dans certains domaines, surtout dans la relation entre Hongrois et Tziganes, mais si l’on regarde ces 20 ans dans une perspective plus large, je crois que le pays avance dans la bonne direction. Si la plupart des habitants pensent le contraire, c’est qu’ils associaient au changement de régime, non pas la liberté, mais un bien-être économique. Ils nourrissaient des attentes irrationnelles et aujourd’hui ils sont évidemment déçus. Mais je pense que le pays a fait de réels progrès depuis 1989 et que le changement de régime a été un succès.

JFB: Et la situation des Rroms? Comment se fait-il qu’on n’ait pas réussi à intégrer ce groupe dans la société?

G.T.: Ce qu’il ne faut surtout pas oublier c’est que la situation des Tziganes a toujours été très problématique. Les régimes précédents ont eu, eux aussi, beaucoup de peines à gérer les problèmes ethniques. Ce qui est nouveau, et à mes yeux très regrettable, depuis le changement de régime, c’est que la classe politique a fait de cette question un tabou. Son extrême prudence politique, qui a plutôt caché les tensions, a débouché sur la situation politique actuelle: le thème des minorités refait surface de façon explosive dans la rhétorique de l’extrême droite. Les tristes évènements de l’année passée (d’un côté les assassinats des Rroms et de l’autre les nombreux crimes commis par les Tziganes) ont en même temps apporté un changement positif qui fait qu’aujourd’hui il y a enfin un dialogue social sur ce sujet. Encore faudra-t-il que les partis politiques trouvent une solution aux pro-blèmes existants car, faute de réconciliation entre les groupes, les chances d’un véritable conflit éthnique entre Hongrois et Tziganes sont considérables.

JFB: Comme l’envisage d’ailleurs le parti nationaliste Jobbik… Les élections européennes ont démontré que ce parti, bien que très jeune, est devenu une force politique non négligeable. Continuera-t-il, comme le craignent beaucoup, à gagner des sympathisants?

G.T. : Si le Jobbik obtient le même résultat, c’est-à-dire près de 15% des votes, lors des élections législatives au printemps, il entrera au Parlement. Il est de plus en plus populaire parmi les électeurs et, d’ici le printemps prochain, je vois peu de chance pour que les choses tournent mal pour lui. Or le phénomène Jobbik est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense. Il ne s’agit pas seulement du renforcement de l’extrême-droite ou du radicalisme. Sa popularité s’explique plutôt par le fait que les citoyens se sont détournés des partis “traditionels”. La plupart de son électorat en a assez de toute l’élite politique. Le grand atout de Jobbik, c’est sa nouveauté, les électeurs ont vraiment l’impression qu’il est différent des autres partis et cela les séduit. Les citoyens veulent aujourd’hui un changement. Il n’était pas naturel que ce soit un parti nationaliste qui en tire profit, ce mécontentement des électeurs aurait pu conduire au renforcement d’une formation politique centriste mais il n’en existe pas vraiment en Hongrie, à l’exception peut-être de Lehet Más a Politika. A mon avis, la grande épreuve du Jobbik sera sa présence au Parlement car, une fois membre du pouvoir législatif, il devra rompre avec sa rhétorique «anti-régime». Je pense qu’il sera plus facile de gérer ce parti en tant que membre du Parlement qu’il ne l’est aujourd’hui.

JFB : Que peuvent faire les partis traditionnels face à la situation actuelle?

G.T. : Le plus important, ce serait qu’ils changent. Le système des partis hongrois est devenu très rigide depuis 1998: une certaine élite politique a réussi à conserver sa position et l’on n’a vu que des changements peu significa-tifs. Il est très difficile de sortir de cette situation mais peut-être que le renforcement de Jobbik donnera une impulsion assez importante aux autres partis de le faire. La classe politique a besoin d'un renouvellement mais pas seulement au niveau des slogans, je pense à un renouvellement de fond, à une véritable réforme de leurs idées et à des changements de personnes. Je constate déjà que les propos de Jobbik ont obligé les partis à prendre une position dans la question des Tziganes et, si cette tendance continue, elle aura, je l’espère, des effets bénéfiques sur le système politique du pays.

JFB : En regardant les difficultés que les deux petits partis parlementaires, le MDF et le SZDSZ ont rencontrées ces derniers temps à se faire entendre, ne constate-on pas que la vie politique est dirigée par les deux grands partis, le Fidesz et le MSZP?

G.T. : Effectivement, ce qu’on observe depuis 2002, c’est que le Fidesz et le MSZP sont devenus des acteurs si importants que, ces dernières années, le système des partis hongrois ressemble plus au bipartisme que le système britannique, que l’on considère pourtant comme un régime bipartite classique. En même temps, les élections européennes ont démontré que ce bipartisme a ses limites en Hongrie. Il ne faut pas tirer de conséquences trop importantes de ce scrutin car les élections à participation faible ne sont pas forcément représentatives. Mais il a été un scrutin extraordinaire dans la mesure où il a prouvé que les électeurs hongrois n’ont pas envie de toujours voter pour les deux plus grands partis. Ils commencent à abandonner l’idée selon laquelle les voix données aux autres partis sont des votes perdus. En ce qui concerne l’avenir de la vie politique, je vois trois scénarios possibles. Selon le premier, le Fidesz et le MSZP conservent leur dominance, même si cette fois le Fidesz remporte les élections plus largement que le parti socialiste l’a fait en 2002 ou en 2006. Selon le deuxième scénario, le Fidesz gagne une majorité absolue, de la même manère que dans les années 1930, se forme un système politique centrale, dominé par le Fidesz. Mais il est également possible que la Hongrie bifurque vers une structure dans la-quelle beaucoup plus de partis trouvent la possibilité de s’exprimer.

JFB : Et quelle chance le parti libéral (SZDSZ) a-t-il, selon vous, de retrouver sa popularité?

G.T. : A court terme elle est très faible. En même temps, nous savons qu’il y a plusieurs centaines de milliers d’électeurs en Hongrie qui ne tranchent pour aucun parti aujourd’hui car ils refusent de donner leur voix au Fidesz mais ils ont également été déçus par le parti socialiste. La grande question des années à venir est de savoir quel petit parti réussira à séduire ces citoyens. Je pense que le parti très jeune Lehet Más a Politika serait par exemple très populaire parmi les électeurs s’ils connaissaient son programme. Mais il se trouve que la majorité des habitants ne sait même pas qu’il existe. Il est très difficile pour les nouvelles formations de transmettre leur message aux électeurs donc je ne pense pas que leur popularité augmente de façon significative jusqu’aux élections.

JFB : Au moment de son installation en avril, le gouvernement de Gordon Bajnai s’est fixé l’objectif de sortir le pays de la crise économique. Depuis, la réputation de la Hongrie sur la scène internationale s’est beaucoup améliorée, le forint est plus fort et la banque centrale a eu la possibilité de diminuer son taux directeur… Est-ce vraiment le fruit de l’activité de ce gouvernement ou profite-t-on tout simplement de l’amélioration de la situation économique mondiale?

G.T. : Il est très difficile de dire pour quelles raisons, mais effectivement les finances du pays vont beaucoup mieux qu’en début d’année. Je pense que ce gouvernement fait un travail sérieux et qu’il accomplit ses tâches de manière inespérée. Pour autant, cette amélioration sur le plan économique ne se manifeste pas dans le sentiment des citoyens. Eux ont toujours l’impression que la situation du pays est déplorable. Sur la scène internationale, je crois que Bajnai a été bien accueilli et que les investisseurs et hommes politiques lui font plus confiance qu’à son prédecesseur, Ferenc Gyurcsány, auquel ils associaient une politique économique ratée. En même temps, le gouvernement de Bajnai a un point faible à savoir sa relation avec les électeurs. Ils n’a pas assez bien communiqué son intention de rompre avec l’activité du cabinet Gyurcsány et, par conséquent, une certaine partie des habitants n’a même pas remarqué qu’il y avait eu un changement. Les citoyens n’ont toujours pas retrouvé le moral depuis l’arrivée de la crise économique en septembre dernier et ils voient l’activité de ce cabinet comme une tentative d’embellir la situation après sept ans de gouvernance ratée.

Anna  Bajusz

 

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